vendredi 14 février 2014

La fortune de Sila, Fabrice Humbert

Ed. Le Livre de Poche, août 2012, 360 pages, 7.1 euros



Quatrième livre de Fabrice Humbert qui, dans un style désormais trouvé et de plus en plus maîtrisé, s'intéresse au monde de l'argent et de son influence sur ses congénères.
Dans "cette scène d'une effarante nudité sociale où le riche (frappe) le pauvre", Sila, humble serveur noir d'un très chic restaurant parisien devient la "cristallisation" du roman. Aucun client n'intervient....
Et c'est là que l'auteur dévoile toute sa subtilité car à partir de cette scène violente et inaugurale, le lecteur plonge dans les vies de ces gens riches et lâches .
Les personnages sont des archétypes de la société capitaliste: Lev l'oligarque Russe, lassé de la vie mais aspiré par le pouvoir, et dont le leitmotiv paradoxal est "ah quoi bon?"; Mark, l'américain riche et sans cervelle, incarnation du "bling bling", Matthieu et Simon,symboles de la jeunesse française partant faire fortune au Royaume Uni; et enfin Sila, parti de rien, réussissant petit à petit sa vie.
Ces destins qui se sont croisés dans un restaurant au milieu duquel a jaillit le sang de Sila vont connaître les affres de la puissance et de la richesse mais y vont perdre leur âme.
Avec une superbe écriture qui ne sombre jamais dans le pathos, Humbert décrit des êtres qui ne s'aiment pas, qui "n'en peuvent plus d'eux mêmes", et qui cherchent dans la conquête de la richesse un moyen de se réinventer ou de renaître.
Ce roman montre que l'argent dévore tout et que le culte des apparences devient essentiel au détriment des sentiments tels que l'amour ou l'amitié.
Selon l'auteur "la littérature peut difficilement produire autre chose que des questions". C'est le cas dans ce récit où finalement le lecteur ressent toujours un auteur obsédé par la violence et ses incarnations.
Mon personnage préféré est celui de Lev qui est sans cesse en contradiction avec son moi profond. Le narrateur omniscient en fait un double d'Ivan iIllitch dont "l'histoire révolue était à la fois très simple, très ordinaire, et parfaitement atroce"
Et si la fortune de Sila est justement de ne pas être riche?