American Psycho version nipponne
Kenji sert de guide à Franck, un "gaijin" 100% américain venu s'éclater dans les quartiers interlopes de Tokyo. Notre jeune nippon se rend vite compte que son client est étrange: sottes d'humeurs, contradictions dans ses propos, un physique passe-partout mais avec une peau à l'aspect "métallique" dont le contact fait froid dans le dos. Avec une écriture désincarnée, Murakami décrit leurs déambulations parmi "les relations d'assistance mutuelle", bel euphémisme pour désigner les prostituées, les bars à strip-tease, les peep-show, les clubs de rencontre...Au détour d'une phrase, on ressent de la compassion pour ces nippons qui vivent ou profitent de ce milieu:
"ce n'est pas facile de vivre dans la normalité. Les parents, les profs, l'Etat, tout nous enseigne comment mener une vie fastidieuse d'esclave, mais ils ne nous apprennent jamais ce qu'est qu'une vie normale."
En fait, l'auteur rend responsable la société nipponne de la bonne santé du commerce du sexe car elle est due à un complet désintérêt du japonais pour son voisin, c'est à dire une individualité développée à l'extrême: "les japonais ne prennent jamais en compte la dimension humaine individuelle (...) ils sont indifférents."
Dès lors, les rues Tokyoïtes deviennent un véritable terrain de jeu et de chasse pour des hommes tels Franck...Keiji va devenir témoin des atrocités perpétrées par cet homme sans pour autant fuir. Le lecteur balance entre l'horreur et la compassion, quant à Kenji, n'est-il pas atteint d'une forme de syndrome de Stockholm? En fait, Franck, dans sa logique de tueur, a tout compris du déclin de la société nipponne, c'est pourquoi, on peut penser qu'il n'est que l'incarnation des dérives engendrées par celle-ci. Dans sa post-face Murakami écrit qu"une dégénérescence terrible est en cours, et elle ne contient pas la moindre graine d'épanouissement". Son roman est une véritable étude anthropo-sociologique: il tire une sonnette d'alarme, et l'impunité du gaijin ne fait que prouver que la société japonaise est à bout de souffle. Un livre difficile à lire parfois, mais très intéressant.