Ed. Ecole des Loisirs, avril 2013, 102 pages, 9.5 euros
La
plage de Zuydcoote. Les nordistes la connaissent bien pour son espace,
ses dunes, mais aussi et surtout ses blockhaus, en partie délabrés qui
défient encore le paysage. Les littéraires eux, ont retenu le nom à
cause du premier roman de Robert Merle, Week end à Zuydcotte, écrit
en 1949 et Prix Goncourt la même année. Enfin, les cinéphiles
retiennent le film éponyme de 1964 avec Jean-Paul Belmondo et Catherine
Spaak.
Situer une action sur cette plage et ne pas évoquer les bunkers aurait été maladroit…
Parce que la nuit a été difficile à
cause de la petite sœur qui confond la nuit et le jour, le père décide
d’emmener les jumeaux Tim et Tom prendre l’air. Malgré le vent et la
pluie intermittente, autant profiter des grands espaces ! Les voilà donc
sur la plage de Zuydcoote, lieu de tous les jeux possibles, grâce aux
blockhaus qui se dressent encore cahin-caha entre les dunes :
« Les grosses masses de béton des
blockhaus semblent tomber sur la plage comme des tortues sans pattes et
disproportionnées qui migrent vers l’eau à la sortie du nid ».
Justement, ils peuvent servir de
cachette, alors autant jouer à Proie et Prédateur sous l’œil
bienveillant du père. Seulement, à peine s’est-il éloigné vers les murs
de béton pour se cacher que Tim revient vers les siens, très pâle,
apeuré, incapable d’expliquer ce qu’il a vu. Autant Tom pense que son
frère joue la comédie, autant papa sent que l’enfant a vu quelque chose
d’insolite :
« Papa croit Tim. Il voit l’effroi
dans ses yeux. Il demande comment on fait pour se débarrasser de
l’effroi. Il dit que l’effroi est comme un dragon, et il n’y a qu’une
seule façon de se débarrasser d’un dragon. Il faut l’affronter ».
Dès lors, la question se pose : quelle rencontre a pu faire Tim dans le bunker ?
Le récit qui, jusque là, était écrit sur
un ton léger, prend une autre tournure. L’ombre du dragon se profile au
fur et à mesure des pages tournées. Les questions se font de plus en
plus pressantes et appellent une réponse. Le père cède la place de guide
et de référent pour incarner celui de l’autorité et du courage : il
faut retourner sur les lieux et affronter ce dragon pour éviter justement qu’il nous dévore l’esprit !
La réalité et la fiction se confondent ; Tom ne croit pas à la possibilité d’une mauvaise rencontre :
« Peut-être qu’il a cru le voir. Il a
cru que c’était vrai, mais en fait c’était son imagination. Peut-être
que la frontière entre les deux passe dans une zone de dunes et qu’il ne
s’est pas rendu compte qu’il était de l’autre côté ».
L’autre côté de quoi justement ? De la
réalité ? De l’imagination ? Petit à petit, l’enfant parle et le lecteur
en apprend un peu plus sur ce qu’il a vu : un homme… une arme… et tout
cela dans un lieu chargé d’histoire ! Et si quelqu’un, comme en Norvège,
était devenu fou ?
« La folie existe, et il y a une
toute petite chance de la rencontrer. Mais une toute petite chance ce
n’est pas rien, ce n’est pas aucune chance. Une toute petite chance ça
peut exister ».
Olivier de Solminihac entretient le
suspens. D’une situation initiale basée sur un jeu enfantin (Proie et
Prédateur), la narration dramatise l’ensemble : le jeu devient un jeu de
guerre, les joueurs des victimes virtuelles : « on est des proies et des prédateurs
». Le récit est limpide, clair, et développe les thèmes de la violence,
des armes, de la guerre, du courage, avec tact et justesse.
Le dénouement est aux antipodes de celui
imaginé par le lecteur et provoqué par la lecture de la quatrième de
couverture, mais il a le mérite de renouer avec la réalité, et ouvre sur
une fin propice à un véritable débat.
A partir de 9 ans.