mardi 22 octobre 2013

L'homme qui savait la langue des serpents, Andrus Kivirähk

Ed Attila, collection Lupin traduit de l'estonien par jean Pierre Minaudier, janvier 2013, 421 pages, 23 euros

SSSSSSSSSHHHHSSSSSSSS!!!

N'ayez pas peur de la littérature estonienne! Elle n'est pas aussi froide que son climat! Ce roman bat en brèche tous les préjugés qu'on pourrait avoir sur ce sujet. Construit comme un conte, il raconte l'histoire de Leemet, un garçon de la forêt dont la particularité est de connaître la langue des serpents. Car dans son monde, les serpents sont des alliés avec qui on peut converser, partager une couche, et compter en cas d'adversité. De toute façon, dans la forêt où vit Leemet, il se passe des choses étranges qui, pour lui, sont complétement normales: les ours sont des dragueurs qui peuvent s'amouracher de jeunes filles, les louves sont d'excellentes montures qui procurent aussi du lait et s'élèvent comme des vaches (!!), les serpents veillent à ce que "les ennemis du dehors" ne viennent pas. Mais qui sont ces gens de l'extérieur? Simplement des villageois qui ont oubliés qu'ils ont été autrefois eux aussi des habitants de la forêt. Ce sont aussi des moines ou des soldats. Tous ont en commun d'être convertis au christianisme et d'être de gros mangeurs de pain au point d'en avoir oublié le goût de l'élan rôti!
Or, le monde de Leemet est en voie d'extinction, tout comme ses deux amis, Pirre et Rääk, les anthropopithèques éleveurs de poux:
"Dans leur soif d'Antiquité, ils en étaient arrivés à un point où même habiter dans une grotte leur semblait d'une absurde modernité. Ils voulaient remonter le temps autant que possible, car ils croyaient que toute vérité est ancestrale; ils tenaient l'ensemble de l'évolution de l'humanité depuis l'aube des temps pour un long dérapage qui la menait tout droit au marécage."
Leemet est le dernier d'une génération, et toute sa vie, il luttera contre l'extinction de siens, de ses traditions, et de ses savoirs ancestraux.
Autour de lui gravitent des personnages hauts en couleurs, originaux et distrayants qui, mine de rien, mettent de la profondeur au récit.
Le lecteur change de monde et de repères. Les catholiques sont les ennemis ou plus précisément son prosélytisme:
"Il faut que tous les Estoniens sortent de la forêt pour sentir la lumière et le vent sur leur corps; ce vent qui nous apporte la sagesse des pays lointains."
L'auteur a remporté le pari de l'originalité, de la cohérence, et de l'humour.
A lire sans tarder!