lundi 28 octobre 2013

Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, Marianne Rubinstein

Ed. Albin Michel, août 2012, 208 pages, 17 euros


« Laisser mon corps devenir écorce, enveloppe qui transporte ses décombres ».
Yaël est effondrée. Yann, son compagnon et père de leur garçon de trois ans la quitte pour une autre femme. Le choc est d’autant plus douloureux qu’elle n’a rien vu venir. Alors, pour faire barrière à la dépression qui la guette, elle choisit la colère, « comme ultime rempart du désespoir », faisant fi des préceptes de Montaigne et Sénèque qui considéraient ce sentiment comme stérile : « rien de ferme et de stable ne soutient son audace, qui n’est que vent et fumée ».
Économiste et universitaire de formation, Yaël a pourtant toujours trouvé dans les mots et la littérature une certaine forme de consolation. Écrire un journal, semblable à « un vieux bureau profond, ou à un vaste fourre tout dans lequel on peut jeter un tas de choses sans les examiner » devient un exutoire à l’effondrement de sa vie amoureuse. Ainsi, saison après saison, Yaël retranscrit succinctement, sans épanchement, les contours de sa nouvelle vie, balisée par la garde alternée du petit Simon, la présence des amis fidèles et la connaissance d’autres. Petit à petit, Yaël se reconstruit, apprécie cette liberté rendue de force, se dit que, finalement, on peut refaire sa vie après quarante ans.
« La vie n’est-elle pas mieux qu’une succession d’équilibres précaires ? » s’étonne-t-elle en écoutant ses amies lui raconter leurs astuces pour une vie de couple qui dure. « C’est quoi pour toi la quarantaine ? » se plaît-elle à interroger son entourage. Toutes ont vécu différemment cet « ébranlement intime », mais chacune s’accorde à penser que c’est « l’acceptation de [son] vide intérieur » :
 « je sais désormais que rien d’extérieur ne viendra le combler : ni la famille, ni la passion amoureuse. Alors je ne cherche plus que la justesse de l’instant »
Ainsi, accepter cette dizaine, c’est accepter une certaine forme de renoncement à une vie rêvée autrefois et jamais venue, c’est faire un bilan « à mi-parcours ».
Pourtant, Yaël comprend aussi que sa guérison ne sera complète qu’avec la réalisation d’un vieux projet, toujours reporté mais jamais oublié : écrire. « Écrire donc, pour respirer avec la phrase, écrire parce que c’est le lieu d’où je respire ». La relecture des cours de Roland Barthes au Collège de France la conforte dans ce dessein. En effet, ce dernier commentait l’aporie typiquement amoureuse : « comment aimer un peu ? Comment ne pas aimer trop ? Comment aimer sans rompre (parce que l’excès rend l’amour insupportable ?) ».
Ce roman raconte le passage d’une « navigation à vue » vers une vie libre, assumée, et responsable. De l’effondrement vient le temps de la reconstruction et des nouveaux choix de vie. L’auteur a choisi le journal intime justement pour mieux appréhender l’intimité de son personnage. Sans fioriture, sans apparat, Yaël raconte, se confie, et le lecteur se rend compte que, peu à peu, elle tourne le dos à la colère, à la rancœur, et reprend sa vie en main. L’ensemble est très bien écrit, rempli de « fulgurances littéraires » sur la quarantaine dans lesquelles tout lecteur y trouvera son bonheur.