Quand un roman commence avec une disparition - surtout une disparition d'enfant - on s'attend à une enquête avec rebondissements avant et après la découverte du corps. Sauf que...
Sauf que Patch MacCauley disparaît après avoir sauvé sa camarade Misty d'un enlèvement imminent et est retrouvé vivant plusieurs mois après par sa meilleure amie.
"Ce jour-là, la police fouillerait les moindres recoins de son existence et découvrirait qu'il aimait les pirates parce qu'il était né borgne, et que sa mère lui avait donné très tôt le goût des sabres d'abordage et des cache-oeils, convaincue que la beauté de la fiction avait le pouvoir d'émousser une réalité trop brutale".
Cette affaire a ébranlé la petite communauté de Monta Clare dans le Missouri, car Patch, enfant pauvre d'une mère alcoolique, a sauvé la jeune fille de bonne famille du coin. Sa disparition prenait la forme d'un sacrifice.
"Tous les hivers, les gens disent que Monta Clare est presque trop belle. Ca rend le crime encore plus grave, non ? Parce que c'est arrivé ici. J'ai l'impression qu'aucun d'entre nous ne s'attendait à ce que le monde extérieur s'introduise dans notre ville".
Avec le temps, les forces de l'ordre et la population locale semblent résignées sauf Saint, la seule amie de Patch, qui n'abandonne pas, explore toutes les pistes et ne cesse d'harceler l'inspecteur Nix, un peu dépassé par les événements...
Finalement, la ténacité a du bon car lors d'une énième exploration, Saint retrouve Patch.
On pourrait croire que tout finit bien, que certes le jeune garçon aura besoin d'une thérapie et sera épaulé par tous, mais le retour devient le début d'un tout autre roman. Le polar se transforme en quête qui s'étalera sur une trentaine d'années. Car Patch recherche une jeune fille qu'il n'a jamais vu, Grace, mais qui par ses discours et ses attentions entendus lors de sa séquestration, lui ont permis de tenir pendant tous ses mois de captivité. Dans le noir, ses mains ont enregistré ses traits. Dans le noir, ses oreilles ont enregistré ses intonations. Or, avec le temps, lui et ses proches se demandes si Grace n'est pas le fruit d'une invention, une sorte de béquille émotionnelle qui lui a permis de tenir le coup. La retrouver deviendra sa raison de vivre car Patch se refuse de croire aux mirages de l'esprit.
"Et je brûlerai tout sur mon passage jusqu'à ce que je la trouve. Je n'hésiterai pas. je ne me retournerai même pas pour regarder les cendres".
Epaulés par Sammy, le galériste de Monta Clare, personnalité excentrique et alcoolique, et Saint, devenue une femme flic exceptionnelle, Patch va donner vie au fil des ans à Grace en la peignant et donner du sens à sa vie en peignant toutes celles qui ont disparues. Au fur et à mesure, ses tableaux prennent de la valeur et le jeune homme parcourt le pays à la recherche de Grace et à la rencontre de toutes les autres familles qui attendent le retour d'un proche.
"Il existait donc, dans cet état altéré, cette zone intermédiaire entre la vie et la non-vie, entre l'avancée et la stagnation".
Seulement, cette vie de nomade n'appelle pas à la stabilité. Le seul point d'ancrage finalement reste Saint mais aussi Monta Clare et certains de ses habitants qu'il connaît depuis l'enfance. Enfin la solitude a ses limites, poussant alors le jeune homme à des décisions qui le dépassent.
Toutes les nuances de la nuit est une quête pour faire la lumière sur une disparition. Le disparu est revenu, transformé, changé à tout jamais, emmenant avec lui ses proches dans ses obsessions.
Ce roman est aussi celui du sacrifice, de la question du bien et du mal, du politiquement correct. C'est surtout celui de l'amour et de l'amitié qui perdurent à travers les épreuves du temps.
" Nous vivrons dans les extrêmes parce que le milieu, c'est le domaine des gens sains d'esprit".
Profondément américain alors qu'il a été écrit par un écrivain britannique, cette histoire excelle dans le registre des émotions exploitées si bien que le lecteur ne ressort pas indemne de sa lecture. Tout comme Stephen King (un des meilleurs auteurs sur l'adolescence selon moi), Chris Whitaker raconte justement les méandres de la crise d'adolescence et l'arrivée à l'âge adulte au point que le mystère à éclaircir en devient secondaire parfois.
Alors si vraiment il ne fallait que lire un seul roman en 2025, ce serait celui-ci. 830 pages de pur bonheur et de maîtrise littéraire.
Ed. Sonatine, mars 2025, traduit de l'anglais par Cindy Colin-Kapen, 832 pages, 25.90€
Titre original : All Of The Colours Of The Dark