En juillet 1969, le sénateur Ted Kennedy fut victime d'un accident de voiture connu sous le nom d'"accident de Chappaquiddick" sur l'île éponyme qui coûta la vie à une jeune femme Mary Jo Kopechne. Ce drame fit couler beaucoup d'encre et coûta au sénateur sa renonciation à briguer une candidature aux présidentielles, car Ted Kennedy avait pu sortir du véhicule immergé tandis que la jeune femme était restée coincée. Et il n'a jamais prévenu les secours.
Joyce Carol Oates reprend le squelette de cette affaire mais situe son action dans les années 80 et avec un sénateur plus âgé. Les circonstances et les conséquences de l'accident sont les mêmes. Oates focalise sa narration sur le personnage de la jeune femme, promis à un bel avenir de journaliste et qui, soudainement se retrouve pris au piège dans une voiture en train de couler. Naïvement, elle croit que le conducteur et amant d'un soir qui a réussi à s'extraire du véhicule va la sauver de la noyade.
De la rencontre jusqu'aux derniers instants de vie grâce à une "bulle d'air" coincée dans la voiture, Kelly Kelleher se souvient de cette journée qui se termine tragiquement puis, de loin en loin, à sa famille, ses parents, ses amis.
"Dans ces moments-là, le temps s'accélère. Juste avant l'impact, le temps défile à la vitesse de la lumière.
Des taches d'amnésie comme de la peinture blanche se répandent dans le cerveau".
Le temps s'étire inexorablement après la soudaineté de l'impact, l'esprit se délite, l'oxygène se fait rare et la jeune Kelly hallucine.
Au fil des pages, le sénateur tout d'abord, personnage secondaire devient tout à fait absent. Mais, à cause de l'admiration politique qu'elle lui voue, elle ne remettra jamais en cause son attitude, son état d'ébriété, sa fuite.
"Tandis que l'eau noire s'infiltrait dans l'espace où elle était contenue, aussi douillettement que n'importe quelle matrice".
Kelly attend les secours, persuadée qu'elle sera sauvée. Elle continue de croire que le sénateur fera tout pour elle, puisqu'il l'a choisie en cette journée d'été parmi une myriade d'autres jeunes femmes. Et malgré l'image qu'elle a peur de renvoyer à ses parents, elle était bien décidée à aller jusqu'au bout avec lui, même si pour cela, elle devait le laisser le conduire.
Dans ce court roman, Le sénateur n'est qu'un personnage périphérique, sûr de lui, sûr de son discours et de l'intérêt que lui voue les jeunes femmes. Parfois, il s'apparente à un prédateur sans scrupules auréolé de son influence politique. Seulement, très vite, Oates gratte le vernis des apparences et l'accident révèle au grand jour ce qu'il est vraiment : un égoïste et un lâche.
Reflets en aux troubles se lit d'une traite tant son intrigue est intense même si on en connaît le dénouement et l'épilogue. Il en dit long sur le déclin moral des élites et la naïveté des jeunes gens. Par delà le prisme de l'actualité, il devient un roman essentiel.
Ed. Actes Sud, collection Babel, traduit de l'anglais (USA) par Hélène Prouteau, mars 2001, 200 pages, 7.50€
Titre original : Black Water