En 2023, Oh William ! (Fayard, 2022) racontait le veuvage de Lucy Barton et ses relations avec son ex-mari William qui venait de découvrir un lourd secret familial. Lucy Face à la mer reprend ces deux personnages vieillissants et les confrontent au confinement dû à la pandémie de Covid 19.
En scientifique avisé, William emmène Lucy dans le Maine, dans une vieille maison au bord de la mer, afin qu'elle quitte au plus vite New-York et l'épidémie qui devient incontrôlable. Il a aussi prévenu ses deux filles Chrissy et Becka des dangers du virus. Alors que Chrissy se réfugie avec son mari dans une maison familiale dans le Connecticut, Becka préfère confiner avec son époux Tracey en restant sur Brooklyn.
Pour Lucy, ne pas pouvoir voir ses filles régulièrement n'est pas bon pour son moral. En plus, elle confine avec un homme qu'elle a quitté depuis des années et qui n'en a pas fini avec son passé tortueux.
Lucy est patiente, elle sait écouter. Au fur et à mesure elle arrive à s'habituer à son nouveau logis, trouve des personnes avec qui échanger et se rend compte que son appartement et sa vie trépidante new-yorkaise ne lui manquent plus.
Alors que ses filles subissent de plein fouet les aléas de l'épidémie, Lucy et William sont épargnés et regarde les événements à la télévision. La marche au grand air avec Bob et ses rencontres avec Charlene, une aide soignante de l'hospice de Crosby la confronte de nouveaux à ses souvenirs familiaux. Lucy a toujours gardé son peu de confiance en elle ; elle n'est pas comme une certaine Olive Kitteridge dont Charlène aime à lui raconter les anecdotes. Elle se sent reconnaissante envers William qui l'a extrait de son milieux miséreux mais s'estime aussi illégitime surtout quand elle téléphone à son frère et à sa sœur qui lui rappelle combien elle est privilégiée.
Nous vivons tous avec des gens - et des lieux - et des choses - auxquels nous avons accordé beaucoup d'importance. Mais, en fin de compte, nous n'avons aucun poids".
Peu à peu, le couple qui n'en est plus vraiment un reprend ses habitudes de vieux couple. William est prévenant et connaît par cœur Lucy. Et puis un soir, ils décident de se remettre ensemble. Autant vieillir à deux que s'enfermer dans la solitude. Maintenant, il faut prévenir les filles qui se débattent avec leurs problèmes sentimentaux exacerbés avec le confinement...
Ce qui est bien avec Elizabeth Strout c'est qu'en commençant son roman on a l'impression de poursuivre une conversation inachevée. On reprend vite le fil des personnages, leurs forces, leurs faiblesses et leurs attentes.
"Qui sait pourquoi les gens sont différents ? Nous naissons tous avec une certaine nature, je crois. Après quoi le monde nous balance ses coups".
Lucy, en bon écrivain, se confie à nous, lecteur, et dévoile ses pensées les plus intimes sur la vieillesse, le couple et l'amour mère-fille.
Et puis, en arrière-plan, elle tente de comprendre ses semblables qui ne votent pas comme elle et n'ont pas du tout la même vision de la société américaine. Elle entame une réflexion profonde sur le fonctionnement de l'esprit humain qui cherche invariablement à se sentir important, et elle se rend compte de la beauté du monde physique.
C'est curieux comme l'esprit reste hermétique à quelque chose jusqu'à ce qu'il ne le soit plus".
Lucy Barton a décidé de ne plus regarder le sol quand un événement la choque ou la saisit. Elle décide de l'affronter du mieux qu'elle peut en tenant compte de son vécu et de son expérience pour être un guide utile pour son entourage. Le confinement sera le début d'une autre vie. De toute façon elle a déjà connu cet état de fait, car elle considère que son enfance fut son premier confinement.
"J'ignorais que l'intégralité de ma vie prendrait une tournure nouvelle".
Quel plaisir de lecture !
(Retrouvez tous les romans chroniqués d'Elizabeth Strout sur le blog)
Ed. Fayard, collection Littérature étrangère, janvier 2025, traduit de l'anglais (USA) par Pierre Brévignon, 312 pages 22.90€