vendredi 10 janvier 2025

Sybille


Ce court roman - à peine cent pages - est avant tout un récit sur la perte et le passage du temps. L'héroïne, Leila Vargas, a perdu sa mère très jeune, condamnée à mort par noyade sous le prétexte qu'elle était une sybille. En grandissant, Leila a développé des aptitudes semblables: un talent pour la broderie et une propension à sentir les gens et l'avenir.

"Même si les prescientes jouissaient désormais de tous leurs droits civiques, elle avait appris à l'école que dix ans plus tôt on exécutait encore des sybilles pour des délits de clairvoyance, surtout en province".
Parce qu'elle refuse ce don, Leila décide de quitter le domicile de son père et s'installer à Atolville (qui ressemble fortement à l'île de Corinthe) afin d'exceller dans ce qu'elle sait faire le mieux : la broderie. Seulement, la chaleur, la solitude et d'étranges rencontres vont la faire vaciller.

Dans cette Grèce qui ne porte pas ce nom, le temps s'étire inexorablement. Les portables existent mais on suit encore les lois antiques et la mythologie est palpable. Dans ce monde-là, les sybilles ont le pouvoir du temps en le tricotant ou le détricotant à souhait.

"Intervenir sur le travail des sybilles, pouvait déclencher un amendement temporel involontaire, un détricotage spontané de l'Histoire qui pouvait théoriquement entraîner la mort de millions de personnes".
La rencontre de Leila avec Alkandros, jeune homme affublé d'une maladie de peau étrange qui le rend monstrueux, va lui révéler ce qu'elle est vraiment. 
"C'était un homme qu'elle voyait maintenant, pas le monstre qu'avait fait de lui la maladie".
La mère d'Alkandros voit en elle une potentielle guérisseuse car elle est la fille de Romilly Pérec dont la réputation n'est plus à faire. Accepter de broder pour Alkandros c'est aussi accepter sa condition de presciente mais surtout c'est donner foi  à la vieille dame venue à elle un jour de soleil.

Alors Leila entreprend une vaste broderie, la plus belle d'entre toutes...

Nina Allan reprend les bases du mythe d'Arachné pour écrire un récit moderne reprenant les codes de la mythologie. C'est une histoire de quête d'identité et d'acceptation : Leila a toujours été dans le déni plus pour se protéger de ceux qui ont poursuivi sa mère. Accepter son don, c'est accepter sa véritable personnalité et ce que sa prescience implique dans sa vie.
En peu de pages, Split réussit à plonger le lecteur dans un autre univers. Nina Allan adore inventer des lieux, des villes, des personnages qui nouent entre eux des relations étranges. Les hologrammes côtoient la broderie, la déesse Athéna apparaît dans un monde où le portable est de mise. Les ellipses agrandissent la fracture temporelle que le lecteur doit combler lui-même par petites touches. Lire Nina Allan, c'est évoluer sur une ligne de crête, au sein d'une vraie distorsion littéraire.

Ed. Tristram, collection Souple, mars 2015, 96 pages, 6.95€
Traduction de l'anglais par Bernard Sigaud.