En janvier 2023, les lecteurs faisaient connaissance avec l'univers littéraire bien particulier de Michelle Gallen et son formidable premier roman Ce que Magella n'aimait pas (Joelle Losfeld, janvier 2023, traduction Carine Chichereau) dans lequel on suivait les aspirations d'une jeune fille issue de la classe ouvrière irlandaise.
L'auteure reprend le même contexte sociétal et situe son histoire en 1994, en plein conflit nord-irlandais. Son héroïne, Maeve est issue aussi de la classe ouvrière, quoique, puisque selon ses souvenirs, elle n'a jamais connu ses parents travailler. Elle attend avec impatience ses résultats d'examens qui lui permettront enfin de s'émanciper à Londres, de l'autre côté de la mer.
"Parfois, elle avait l'impression d'être la version féminine d'Icare, passant ses heures à rassembler ses plumes, à les coller à la cire chaude pour fabriquer les ailes dont elle avait besoin pour s'enfuir".
Pourtant Londres, c'est un peu le territoire ennemi, puisqu'elle est catholique et déteste les réformés. seulement, elle veut mettre de la distance avec les siens mais aussi avec la ville qu'elle n'a pas quitté depuis sa naissance.
Comme les résultats ne seront pas connues avant fin août, Maeve et ses deux amies, Aoife et Caroline, travaillent à l'usine de textile dirigé par un dragueur impénitent. Là, elle côtoie aussi bien des catholiques que des protestants. Et pour se préparer à sa nouvelle vie, elle a pris avec Caroline un petit appartement en face de l'usine.
Son nouveau quotidien d'ouvrière lui révèle les réalités du monde du travail pour les gens non qualifiés, les petits compromis, les heures supplémentaires, le harcèlement sexuel qui cache son nom, mais lui permet aussi de rencontrer de nouvelle personnes, d'élargir son univers et de mûrir.
Le chapitrage du roman, construit comme un décompte avant les résultats des examens, inscrit le texte dans la veine du roman initiatique, surtout que Maeve ne veut pas avoir le même destin que sa sœur aînée Deidre, disparue trop tôt, emportée par la dépression.
"Dans son monde à elle, laisser mourir sa sœur était un échec"(...) Je suppose que l'échec, c'est comme la richesse : c'est relatif".
Du fil à retordre est un roman drôle qui, comme le précédent opus, est bien plus profond qu'il n'y paraît. On s'attache rapidement au trio de personnages féminins aux personnalités différentes. Chacune compte sur les études pour ne pas subir leur vie future.
En arrière plan, les tensions et les attentats de l'IRA rappelle un contexte sociétal sulfureux au sein duquel la population devait se conformer.
On dit souvent que le second roman est plus difficile à écrire que le premier. En tout cas, Michelle Gallen a transformé l'essai. Une réussite !
Ed. Joelle Losfeld, janvier 2025, traduit de l'anglais (Irlande) par Carine Chichereau, 352 pages, 25€
Titre original : Factory Girls