mardi 10 septembre 2024

Si MarsNow m'était conté

 


Amber et Kevin sont ensemble depuis le lycée. Ils forment un couple improbable, lui l'agoraphobe toujours à se lamenter sur son sort et elle, la brillante scientifique qui a décidé de mettre son talent au service de la culture de cannabis. Or, depuis quelques temps, leur relation est dans l'impasse. Amber aspire à autre chose et reproche à Kevin son inertie. De plus, tous les deux, impliqués à leur façon dans la lutte contre le réchauffement climatique, n'arrivent plus à trouver du réconfort dans la contemplation de leur environnement.
"Ca ne m'a pas échappé, mais ça m'a échappé. Je vivais dans mon monde. J'évoluais principalement dans une orbite limitée, intérieure".

Sans vraiment le prévenir, Amber s'inscrit à un projet scientifique, MarsNow, sensé trouver les futurs marsionautes qui seront les pionniers - sans retour- sur Mars. Or, et c'est là que le bât blesse, tout est financé par Geoff Task, l'homme le plus riche du monde, qui a décidé de faire de la sélection une émission de téléréalité.

L'alternance chorale des chapitres donne la voix à Kevin et Amber. Alors qu'Amber parcourt le monde au fur et à mesure du choix des internautes et des téléspectateurs, Kevin s'enfonce dans l'agoraphobie et se refuse à perdre l'amour de sa vie. 
"A Thunder Bay, j'associais "la nature" aux hivers glaciaux, ou à des lacs et des rivières parvenus à divers états de mort post-industrielle - pollués, opaques, dangereux. Mais avec Amber, j'ai remarqué le vaste ciel au-dessus de nos têtes, le soleil sur ma peau. Il y avait de la beauté dehors, et elle semblait appartenir à Amber, avoir été créée par Amber".
Ecrivain raté, orphelin d'une mère dysfonctionnelle dont il prend le même chemin, il devient le témoin oculaire des nouvelles amours d'Amber avec Adam, un autre candidat. Et alors, que sa petite amie s'éloigne de ses idées sur la préservation de l'environnement, Kevin s'y accroche car cela lui permet de rester proche d'Amber.
"J'essaie d'imaginer Amber ici, dans ces mêmes pièces (...) Mon Ulysse, ma Daisy Buchanan. L'être que je désire le plus, et crains le plus, dans tout l'univers".
Or, de son côté, la nouvelle vie d'Amber est moins reluisante qu'il n'y paraît. Elle découvre chaque jour le côté obscur de la téléréalité avec ses scénarios téléguidés. Elle se rend compte qu'elle abandonne un peu chaque jour ses convictions et n'arrive plus à se reconnaître. Et si MarsNow était moins sérieux qu'elle a cru ? Et si Kevin était finalement celui avec qui elle devait construire son avenir ? "Si elle perd Kevin, elle se perd elle-même".
"Et si elle en faisait sa mission ? D'être ici. D'aimer cet homme. D'admettre qu'elle ne le connaît pas encore et ne saura jamais tout de lui. Un être humain est un mystère, aussi obscur et en expansion que l'univers".
Mais abandonner c'est aussi renoncer à un projet qui lui tient à cœur et qui sera pour elle une revanche sur la vie  son père, au moins, oubliera qu'il l'a reniée un jour. C'est aussi le moyen d'apporter sa contribution à un projet plus vaste dont  "le but est de devenir indépendant de la Terre" et mettre à profit ses connaissances sur l'environnement et la permaculture.

Au fur et à mesure du roman, Deborah Willis met en évidence deux visions antithétiques de la future mission martienne. Symboliquement, c'est le couple qui s'effrite pour disparaître dans l'espace intersidéral.
"
- Au moins Geoff Task essaie.
- Essaie de faire quoi ?
- De sauver le monde !
- En envoyant deux crétins naïfs sur Mars ? Tu m'expliques en quoi ça va sauver le monde ? C'est de l'hybris Amber. De l'enfumage capitaliste. Tu l'as dit toi-même. L'économie de l'espace".
Amber et Adam sont choisis et s'envolent. Kevin, enfermé dans son appartement, absorbe les informations sur les réseaux sociaux et fusionne avec Amber.
"Je vois la Terre d'en haut. Cette planète ravagée est une masse vibrante d'industries et de technologies, et je suis le point fixe. Je suis la cause de ce tsunami en Indonésie, de ce feu de forêt en Australie, de ce cyclone au Mozambique.
Je suis Dieu".
"La vie est affaire de lien" pour Deborah Willis. Girlfriend on Mars est à la fois un roman sur l'éco-anxiété, l'urgence climatique et la routine du couple. Adoptant un ton léger et drôle, le récit fait mouche quand il met en évidence les travers de la téléréalité et les fake news véhiculés par les réseaux sociaux. Dès lors, ce qui apparaît urgent, c'est l'honnêteté dans les rapports humains et la quête de sens  dans nos actions.

"Nous inspirons, nous expirons. Nous faisons exister ce monde par notre souffle".
pense Kevin. Alors que la Terre se détériore et qu'on cherche sur Mars un autre possible, il devient évident que ce sont nous, les Terriens, les gardiens de notre monde.

Une belle découverte !

Ed. Rivages, août 2024, traduit de l'anglais (Canada) par Clément Baude, 496 pages, 23.90€
Titre éponyme