vendredi 30 août 2024

Vers l'inéluctable



Alex décide de revenir sur les lieux de son enfance à River Meadows afin d'y retrouver sa sœur Amerie. Or, ce lieu du nord est canadien est aujourd'hui une zone sinistrée et interdite depuis que l'exploitation humaine de l'hydrocarbure fantôme et ses conséquences par l'usine Northfire ont accéléré l'effondrement de l'écosystème local. Désormais la petite ville n'est plus qu'un trou béant, "fosse monstrueuse sans vert creusée dans un argile bouleversée, noircie de flaques huileuses", une agression montrant "l'étendue des ravages causées à la terre".

Amerie avait pris l'habitude de se promener dans le Parc - comme l'appelle les habitués - afin d'y comprendre l'origine des décohérences que les riverains avaient un jour où l'autre vécu à cause l'exploitation du minerai fantôme. Ces "trébuches" ressemblaient à s'y méprendre à des hiatus spatio-temporels pendant lesquels chacun avait une vision du futur.
"Alex se souvient de l'ondulation qui avait parcouru tout le restaurant, semblable au chatoiement de l'air sur l'asphalte un jour d'été, et déclenché dans ses oreilles un hululement suraigu, pareil à la stridulation que produiraient de minuscules insectes".
Depuis cette expérience, Alex n'est plus le même. Devenu météorologue, il a compris que ce qui se passait à River Meadows n'était pas normal. D'ailleurs son amie Claire l'avait bien compris, mais elle a choisi d'exploiter le dérèglement climatique à des fins mercantiles en se faisant trafiquante d'animaux en voie de disparition.
"Lorsqu'il avait pris fin, le monde était redevenu ce qu'il était et rien de plus : le jouet du hasard et du chaos ; s'il avait un sens, celui-ci menaçait constamment d'être emporté par le flot du vécu, un déferlement sans forme ni contours saisissables".
Claire, réfugiée sur une île dont l'histoire ressemble à s'y méprendre à celle de l'Atlantide relatée par Platon, va devenir le témoin d'un événement étrange : une grue - dont la rareté a été constatée - a décidé de faire son nid sur son balcon afin de couver un œuf qui semble être le dernier de son espèce.

L'exploration du Parc avec Michio permet à Alex de comprendre la disparition de sa sœur. Michio, un proche d'Amerie, explique que cet endroit est une vision de l'avenir de l'humanité, mais surtout un lieu où il est possible de changer de dimension.
 "Ici, même si certaines choses semblent nous suivre, s'accrocher à nous et s'infléchir autour de nous, ce n'est jamais de nous qu'il s'agit. On entre ici avec notre histoire, on ne peut pas s'en empêcher. Ce qu'on est, ce qu'on désire, ce qu'on craint.. Alors tout ce qu'on voit, tout ce qui arrive, devient partie intégrante du récit qu'on s'est raconté toute sa vie. celui qui décrit qui on est et où on va".

L'effondrement environnemental est une conséquence de la bêtise humaine. Le dernier tiers du roman donne la parole aux oiseaux qui racontent la disparition des êtres humains. Cette partie m'a fait penser à Demain les Chiens de Clifford D. Simak. Ce sont les animaux qui racontent le passé des hommes. Dans La Messagère, c'est une mère corbeau qui tente de sauver les humains de leur extinctions. Dès lors, on comprend que Amerie et sa descendance sont ceux qui ont résisté et tenté de préserver ce qui pouvait encore l'être.

Ce roman décrit un monde dystopique, conséquence du dérèglement climatique et dont River Meadows en est l'épicentre.
« Vous qui avez vécu dans cette ville, je suis sûr que vous n’avez pas oublié les trébuches, ces décohérences qui arrivaient et repartaient sans crier gare. Ce qui se passe dans la zone de réhabilitation ressemble à une décohérence interminable, imprévisible, inarrêtable. Vous ne réalisez pas à quel point il est dangereux de s’y aventurer ».

On pourra peut-être reprocher un manque de cohérence de chacune des parties car le fil d'Ariane qui les relie est assez ténue. Cependant, La Messagère trouve bien sa place dans la collection Imaginaire grâce à son originalité et à l'imagination fertile de son auteur.

A découvrir sans tarder.

Ed. Rivages, collection Imaginaire, mai 2023, traduit de l'anglais (Canada) par Sophie Voillot, 464 pages, 23€