Stardust est-il un roman ou un recueil de six nouvelles ? Nina Allan le présente comme six histoires autonomes néanmoins liées par une même connexion, un fil d'Ariane prégnant (comme dans Complications, Tristram,2015) qui ne bouleverse en rien notre compréhension de chaque texte.
Cette Ariane est une actrice connue pour ses rôles dans des films d'épouvante, une certaine Ruby Castle. Elle tire de sa beauté une aura étrange, insaisissable, qui a coûté la vie à son compagnon contre qui elle s'est acharnée à coups de couteaux. Et pourtant, pour chacun des protagonistes du recueil, elle est un repère, une étoile réconfortante.
"D'après la légende, c'était pendant le tournage de la scène du bal que Ruby Castle était tombée amoureuse de Raymond Latour, l'homme qu'elle assassina plus tard dans un accès de jalousie furieuse quand il eut refusé de quitter sa femme pour elle. Dans cette scène, Ruby était transcendantale". (Face B)
Parfois, elle n'est plus une actrice mais un personnage secondaire qui exerce une influence manifeste.
"Ruby Castle et moi étions des jumeaux astrologiques (...) Nous avions sur scène une connexion qui frôlait la télépathie. Un truc comme ça, on y tient. Alors on enterre le passé du mieux qu'on peut". (Le Ver du Lammas)
Nina Allan adore jouer avec les nerfs du lecteur. Elle les perd dans les méandres de l'espace-temps, les ellipses étudiées et les fins ouvertes. vous ne trouverez pas à travers ses lignes une explication rationnelle ou un code de compréhension. C'est ainsi; c'est au lecteur de se forger sa propre interprétation de ce qu'il lit et de le relier (ou pas) à une réalité.
Le décor de fond, l'ambiance sont savamment étudiés. On entre dans l'univers du cirque qui ressemble à s'y méprendre au Freak Show du début du siècle. On suit une famille russe, vivant à la lisère d'un quartier interlope, vibrant pour le prochain lancement d'une fusée alors qu'elle ne sait pas vraiment si ce qu'elle voit à la télévision est réel ou manipulé par le gouvernement. Au détour d'un chemin, un jeune garçon peut aussi croiser les personnages de son film préféré et se rendre compte par la suite que ce qu'il vient de vivre évolue dans un drôle de jeux en bois aux personnages articulés...
Il suffit de faire un pas de côté pour se retrouver dans une autre réalité. De fait, la notion de dimension parallèle ne semble pas inconnue à l'auteure. on est là et ailleurs en même temps, ouvrant ainsi le champ des possibles de façon illimitée.
"Il sentait le vide se faire à l'intérieur de son crâne, à croire qu'il allait s'élever du sol d'une minute à l'autre, traverser la lande au gré du vent et disparaître dans la nuit". (Face B)
Qui dit autre monde, dit porte d'entrée. Pour cela, les fêtes foraines sont des lieux privilégiés et le palais des glaces avec ses miroirs devient un portail où les petites filles disparaissent et les rencontres se font.
"Me vint à l'esprit l'image de deux lignes incurvées comme des routes sur une carte, qui se rapprochaient et finissaient par se croiser. Deux lignes de vie : l'une était ma vie telle que je l'avais vécue jusqu'ici, l'autre la vie fantôme et agitées que j'avais vécue dans mon rêve".
Stardust avance le fait qu'on n'est jamais sûr de rien. Les rencontres ne sont jamais fortuites, les destins ne sont pas figés et les incohérences rencontrées sont autant de paliers vers une compréhension plus large de ce qu'on vit. Le tissu temporel permet d'entrevoir l'avenir, alors mieux vaut tout consigner par écrit pour garder une trace.
"Le temps consume toute chose si on le laisse faire. Ne se conserve que ce qui est écrit. On pourrait dire que toute notre civilisation est fondée sur l'écriture. Considérez-vous comme des écureuils qui stockent des noisettes". (Poussières d'étoiles)
Nina Allan considère davantage Stardust comme un "roman fracturé" qu'un recueil de nouvelles. Elle désire que lecteur examine tous les morceaux de texte afin de reconstituer une histoire unique qui, selon elle, racontera l'histoire de Ruby Castle. Le chemin est semé d'embûches et une seule lecture ne suffit pas. Il n'y a pas de Deus ex machina salavateur. Ainsi, chaque lecteur du livre aura sa propre compréhension de l'ensemble, ce qui donne une incroyable richesse à ce livre.
Ed. Tristram, mars 2020, traduit de l'anglais (GB) par Bernard Sigaud, 357 pages, 11.95€
Titre éponyme