Depuis la parution de son premier roman en 2014, Retour à Little Wing (Editions Autrement) Nickolas Butler est passé maître dans l'art de raconter les histoires d'amitié qui traversent le temps et les aléas de la vie. Chaque livre paru fait de ce lien choisi quelque chose de bien plus important que le lien du sang. Les amis sont le reflet de ce que nous sommes ou ce que nous pourrions être devenus.
Ce dernier opus n'échappe pas à la règle, sauf que cette fois-ci l'auteur prévient qu'il est inspiré de faits réels. Comme l'inspire le titre français, cette maison est à la fois métaphorique et bien vraie, un endroit où aller et un lieu qu'on n'atteindra jamais, une villa hors norme à construire en un temps record et un refuge loin de la folie des hommes. Et pour réaliser ce projet fou pour une brillante avocate en fin de vie, un trio d'amis, Cole, Bart et Teddy, associés d'une petite entreprise de construction à Jacksonville dans le Wyoming. Ils ont accepté, forts de leur amitié, fiers d'avoir été choisis mais aussi pour l'appât d'un gain inimaginable à empocher très rapidement et qu'il leur permettra d'avoir davantage de perspectives d'avenir.
"La seule manière de s'en tirer, c'est de s'y jeter à corps perdu".
Or, qui dit délais très courts - quatre mois - dit un rythme forcené même lorsque l'hiver rude du Wyoming vient s'imposer. Et c'est là que le roman devient intéressant car Nickolas Butler raconte comment les certitudes de chacun des protagonistes viennent se heurter à leurs propres faiblesses. Ils ne sont que des êtres humains après tout : leurs vies privées, leurs démons, leurs choix sont autant d'obstacles à la bonne marche de leur entreprise.
"Dans ce monde, il y a des gens qui semblent attirer la poisse. Des trentenaires en excellente santé victimes d'une crise cardiaque lors de leur jogging quotidien ou de leur cours de yoga. Une famille aux intentions louables dépouillée de toutes ses économies par un évangéliste machiavélique. Mais d'autres semblent être les artisans de leur malchance et il n'était pas difficile de placer Bart dans cette seconde catégorie".
Construire la maison dans les nuages prouvera qu'ils ont réussi à surmonter leurs peurs. Ils seront devenus plus forts et auront vaincu ce qui les caractérisent. Seulement, cela est-il vraiment possible ? Même l'amitié ne peut pas tout.
" Mais plus ils s'approchaient de ce but inatteignable, plus l'affaire toute entière s'apparentait à un pacte maudit. Même la ville était un mirage : elle donnait l'illusion d'incarner ce qui avait jadis été possible en Amérique au lieu de s'afficher sous ses traits véritables : un terrain de jeu exclusif pour les plus riches de la planète des riches".
Parfois, il faut savoir redevenir égoïste pour se préserver. A la fois projet titanesque pour les uns et projet délirant pour les autres, la villa révèle les véritables personnalités de chacun, jusqu'à celle de sa future propriétaire qui s'était jusque-là protéger en s'immergeant dans son travail d'avocate.
"Teddy considérait désormais la maison comme un temple, sans parvenir à mettre le doigt sur la foi qu'il était censé célébrer. (...) Comment cette structure pouvait-elle être réduite à un hommage à la richesse ? Et, si elle l'était, qu'est-ce que ça disait de leurs propres efforts, qu'est-ce que ça disait sur eux-mêmes.
La Maison dans les nuages est aussi en filigrane la critique d'une certaine Amérique, celle des nantis qui viennent bétonner les petites villes au bord de la montagne, venant en nombre lors de la période hivernale pour skier, et empêchant, par l'ampleur du phénomène, les locaux d'accéder à la propriété à prix juste. Le capitalisme et ses travers viennent jusqu'au fin fond du pays pour impacter les habitants.
A la fois histoire d'amitié, critique de la société et polar, le roman est habilement construit et, grâce à un retournement de situation au dernier tiers, redonne de l'élan à la trame narrative. Nickolas Butler tire facilement les fils de la narration pour en faire une histoire entière aux personnages forts et complexes, sans ambages et efficace.
Ed. Stock, collection La Cosmopolite, mai 2023, traduit de l'anglais (USA) par Mireille Vignol, 450 pages, 23€
Titre original : Godspeed