mardi 13 juin 2023

AVANCER

Depuis dix ans un père vit avec son fils en portant un lourd secret : celui d'avoir tué la mère accidentellement un soir de dispute. Le secret est inavouable, il briserait les liens père-fils et massacrerait tout projet d'avenir. Alors il faut faire semblant, mentir un peu quand on raconte qu'elle est partie pour ne plus revenir.
"Des premiers temps, il n'a aucun souvenir, ne sait que ce qu'on lui en a rapporté. Peut-être d'ailleurs ne lui a-t-on pas tout dit, et peu importe : pour vivre, il faut parfois s'en tenir au tangible et se convaincre que rien de ce que l'on ignore ne peut exister".

C'est une spirale infernale. Musicien de jazz, le père part quelques jours en Bavière avec son fils car, paraît-il, on y a aperçu la mère. Forcément, c'est un voyage pour un objectif fantôme, mais il permet de resserrer les liens, de rencontrer des gens dont la belle Mado, serveuse à l'hôtel où ils séjournent. 
"Mado incarnait le visage d'une possible rédemption, mais pouvait tout aussi bien incarner la figure du châtiment".
Le père, qui s'était interdit d'aimer, retombe amoureux, jusqu'à ce que les faux témoignages les emmènent dans le comté de Cork en Irlande. Là aussi, une femme les attend. Pas la mère, forcément, mais une avocate en charge d'une jeune femme assassinée, sordide affaire qui rappelle en écho le meurtre de l'épouse de Toscan du Plantier. Or, comment peut-on encore aimer avec un secret si lourd à garder ?
"C'est qu'ils ne savent pas. Ils ne savent pas qu'il funambule au bord de la vie. (...) Ils ne savent pas, eux, ce que c'est d'avoir tué sans avoir voulu tuer. Ils ne savent pas ce qu'est de mentir au monde sans jamais pouvoir se mentir à soi-même".

On voyage beaucoup dans ce roman. Etretat est un point de départ et un point final. Entre les deux, c'est l'Allemagne et l'Irlande avec ses splendides paysages sauvages. La mer rappelle sans cesse au père ce qu'il a fait. Il ne s'excuse pas, il se dit que son fardeau permet à son fils d'avoir encore un parent.

Il faut croire au printemps est un titre de mélodie de Jazz que père et fils apprécient. C'est aussi ce que pense le père, tel un mantra, pour avancer et oublier de se confier. Faire semblant est tellement difficile...
"Ca veut dire que, derrière les nuages, il y a toujours du soleil. Toujours du bleu au fond du noir".

Marc Villemain a crée un anti-héros masculin abîmé, rongé par son secret qui tente d'être un père admirable et admiré. Cela fait tellement longtemps qu'il ne s'autorise rien qu'il se sent perdu quand l'amour frappe à sa porte. Pourra-t-il y résister ?

On n'est ni dans le thriller, ni dans le roman larmoyant mais dans une vraie aventure père-fils, sur fond de paradoxe.

A découvrir.