William Boyle situe son roman dans le quartier de Brooklyn au sud de New-York. Sauf qu'on est bien loin du quartier glamour vendu dans les magazines. Maisons délabrées, personnages abîmés par la vie, jeunes gens perdus incapables de se projeter dans l'avenir et pourtant, au milieu de ce marasme ambiant, il y a parfois des zests de bonheur.
Cela fait cinq longues années que Jack a perdu le centre de sa vie. Sa fille Amélia est morte bêtement, frappée à la tempe par une pierre jetée du haut d'un pont par un gamin, alors qu'elle était au volant. Lui, le redresseur de torts des petites gens a perdu son ancre. Il est dans la survie, incapable d'avancer. Dans son quartier de Brooklyn il n'y a pas que lui qui se sent seul et perdu. Lily vient de terminer ses études. Apprentie auteure prometteuse, elle n'arrive plus à avancer dans ses travaux d'écriture, tant elle se sent prise en étau entre un ex harceleur et une mère insignifiante plus préoccupée par sa vie amoureuse que par le bien être de sa fille. Alors, elle décide de mener un atelier d'écriture auquel Jack s'inscrit.
Leur rencontre semblait évidente. Chacun se projette dans l'autre. D'un côté un père en manque de sa fille, de l'autre une jeune fille en manque d'amour paternel. Jack et Lilly s'apprécient et très vite une relation presque filiale se met en place.
Le roman ronronne, rythmé par une alternance de chapitres racontant l'histoire de Jack et Lily mais aussi entre Francesca et Bobby, un jeune couple désœuvré en quête d'une autre vie sur la côté ouest. Bobby est l'auteur d'une meurtre d'Amélia.
"Bobby n'a appris la gravité de l'accident que le soir, en regardant les nouvelles. Il n'a pas pleuré. Il a juste arrêté de ressentir quoi que ce soit".
Depuis, il vit avec ce secret de plus en plus lourd à porter. Travaillant pour un arnaqueur, un certain Max, il décide de lui voler l'argent qu'il garde dans son coffre afin de pouvoir s'offrir une belle vie avec sa nouvelle petite amie. Seulement, forcément, rien ne se passe comme prévu puisque le propriétaire de l'argent, tueur à gages est à ses trousses. Les cœurs fissurés s'entretuent.
Comment ces quatre personnages vont-ils se rencontrer. La force de la fiction fait que Bobby et Lily furent pendant un temps frère et sœur par alliance avant de se perdre de vue après que leurs parents se soient séparés. La ficelle est grosse mais elle permet de donner de la cohérence à la construction narrative. Car William Boyle a fait le choix d'une très lente exposition pour ensuite proposer une chute et un dénouement en très peu de pages. Cela nous vaut quelques passages redondants où l'intrigue avance peu, tandis que dans le dernier quart tout se précipite dans le sang pour offrir finalement un épilogue assez ouvert.
"Pourtant avec Jack, elle [Lily] se sent en sécurité. Jack est le genre de personne qui vous donne l'impression que tout ira bien, même si cela s'est mal passé pour lui".
C'est Jack qui porte Eteindre la lune sur ses épaules. Il incarne à la fois la dureté et la douceur, la perte et l'avenir. Seulement, le peut-il vraiment ? Il apparaît davantage comme un héros à genoux qui contemple la folie des hommes en attendant son heure, tandis que la lune projette leur ombre sur les trottoirs de Brooklyn.
Ed. Gallmeister, janvier 2023, traduit de l'anglais (USA) par Simon Baril, 416 pages, 24.80€
Titre original :Shoot The Moonlight Out (titre d'une chanson de Graland Jeffreys)