Depuis qu'il a quitté la légion, Skender n'arrive pas a surmonter les traumatismes de la guerre et à reprendre une vie normale. Il s'est éloignée de sa femme Manon et leurs deux enfants de peur de leur être nuisible pour de multiples raisons. Il est devenu une ombre parmi les ombres, les sans-abris, "plein de hontes et de larmes" qui ne coulent pas.
"Madame a chassé tous les gibiers. Sauf l'Homme"
"Je ne laisserai pas Skender mourir comme ça. Je lui offrirai la mort qu'il mérite".
Pour Madame, cette prochaine chasse à l'homme en Roumanie est un projet de longue haleine. Elle se fera entre adultes consentants. Si elle échoue, le" gibier" empochera trois millions d'euros. Selon son point de vue, la vie de Skender ne vaut plus grand chose, elle lui offre une opportunité à saisir pour revenir parmi les vivants ou au pire que sa famille soit à l'abri.
"Ca vaut quoi la vie d'un homme ? D'un homme comme lui. Un homme sans rien. Clochard. Va-nu-pieds. Un homme que personne n'attend et n'attendra plus jamais. Ca vaut combien une vie qui ne vaut plus la peine d'être vécue ? Une vie d'invisible, sans amour, à la lisière du monde. La vie d'une ombre".
Skender a accepté l'étrange proposition de Max ; il n'a plus rien à perdre et il pense que l'argent lui permettra de se faire pardonner auprès de sa famille. Justement, avant la chasse, il se rapproche d'eux, se rachète une conduite, les met à l'abri du besoin, tout en se disant qu'il faudra bien qu'ils apprennent plus tard les véritables causes de sa disparition. Dès lors, il veut faire de Max son légataire testamentaire. Lui saura expliquer ce qui s'est passé et pourquoi.
Pour Madame, pas de haine, pas de ressentiment, juste pouvoir tuer un homme et avoir le frisson de l'interdit. Mais ne se voile-t-elle pas la face ? Pour éliminer un de ses semblables ne faut-il pas ressentir de la haine?
"Nous allons droit l'un vers l'autre. Inexorables. Sans, hâte sans détours. Droits. Lui, sait pourquoi. C'est son atout. Moi, je ne sais rien de ce qui me pousse. J'aimerais que ce ne soit pas la haine et pourtant... Quoi d'autre" ?
Chacun des personnages de ce roman est tourmenté. Certes, c'est "Une histoire entre adultes libres, consentants et exceptionnels", mais la morale entre en jeu, insidieusement. En acceptant d'être une proie, Skender décide de redevenir un père présent en attendant. En acceptant de faire de son ami un futur trophée à la gloire de sa patronne endurcie, Max se perd et s'éloigne de ses valeurs.
Les Tourmentés est un premier roman réussi. L'auteur a choisi d'en faire un roman choral aux chapitres courts afin de mieux appréhender les émotions et les questionnements de chacun. Certes, parfois, il faut quelques lignes avant de comprendre qui est le narrateur, mais dans l'ensemble, on est happé par le contenu et ce qui s'y joue.
"Il y a des hommes que le bonheur ne rend pas heureux" croit Skender en début de roman. Vraiment ?
Éditions Alma, août 2022, 345 pages, 20€