Au premier abord, on pourrait croire à un roman léger, girly, l'histoire d'une amitié improbable entre une jeune maman et la nounou de son fils. C'est en tout cas ce que vend la quatrième de couverture et si je n'avais pas écouté l'autrice lors du dernier Festival America à Vincennes, je pense que je n'aurai jamais lu ce roman.
« En surface, ce paie un plus ou moins l'air de ne pas avoir changé. Mais à l'intérieur, il n'y a plus rien qui l'étaye. Ni intégrité, ni soutien. Alors, peut-être que ses feuilles sont vertes et que son tronc est grand. Il n'empêche qu'un arbre creux ne peut rester debout très longtemps. »
Elizabeth navigue en pleine hypocrisie sociale. Elle cache à son époux qu'elle a prêté beaucoup d'argent à sa sœur, elle fait croire à Sam qu'elle aussi a galéré dans ses jeunes années d'étudiante, et en plus, la vie de maman n'est pas aussi exaltante qu'elle l'aurait crue. Alors, parfois elle se perd sur un groupe privé Facebook ou des mères comme elle s'épanchent sur leurs malheurs de mamans bobos.
Sam adore sa patronne. Elle privilégie les moments où elle peut échanger avec elle et lui raconte ses projets de mariage avec le très étrange Clive ou ses projets professionnels. Elisabeth fait " figure d'autorité " et d'exemple pour l'étudiante.
"La parentalité consistait largement à faire, dire et être des choses que vous avez écrites un jour juré de ne jamais faire, dire et être. Mais ce qu'Elisabeth partageait avec Sam lui permettait le sentiment d'être au-dessus de tout cela ".
"Ce que les gens ne disent jamais sur la vie adulte, c'est qu'on n'a jamais l'impression d'être installé, dit Elisabeth. C'est juste instable, mais autrement. Avoir vingt ans, ça consiste à obtenir ce que l'on veut. La carrière, l'homme. Avoir trente ans, c'est savoir quoi faire de ces choses une fois qu'on les a".
Ainsi, Elisabeth si étant naturelle dans sa position sociale, dans ses opinions et sa façon d'appréhender la famille, va finalement aller trop loin.
"Après tant d'années à Brooklyn, ils pensaient être aussi progressistes qu'il était humainement possible de l'être, ils se rendaient compte qu'ils s'étaient trompés".
Sam va se rendre compte alors qu'elle a été fourvoyée.
"Pourtant, bizarrement, jusqu'à présent Sam n'avait pas compris que la richesse n'était pas uniquement une question d'argent, mais aussi une histoire d'opportunités".
Les Affinités sélectives est un roman qui porte bien son nom. Grâce à une alternance des points de vue, on comprend vite ce qui s'y joue. Les personnages secondaires gravitant autour de Sam et Elisabeth mettent en lumière les enjeux sociétaux. Certes, au cœur du roman il y a une histoire familiale car l'arrivée d'un enfant n'est pas anodine. Cela chamboule tout au sein du couple mais aussi dans les rapports qu'on peut entretenir avec nos propres parents.
"Toute sa vie, elle [Elisabeth] avait placé le couple [de ses parents] même au-dessus de tous les autres, s'il était pire que la plupart. Ses parents avaient cultivé cette idée, en faisant comme si la souffrance était la preuve d'une union supérieure. Cela avait été l'une des grandes leçons de son existence - apprendre que c'était faux".
L'épilogue de ce roman est essentiel. Il démontre que la vie est faite de pages qui se tournent et d'amitiés qui s'oublient, un peu comme dans Les Privilèges de Jonathan Dee (Ed. 10/18, 2012)
J'ai été enthousismée par tant de pertinence et de finesse. J. Courtney Sullivan est décidément une autrice à lire.
Éd. Les Escales, mai 2022, traduit de l'anglais (USA) par Caroline Bouet, 552 pages, 23€
Titre original : Friends and Strangers