Les éditions Cambourakis nous ont fait le bonheur d'éditer le second Roman de Tom Drury, écrit en 1998. Tom Drury, selon mon humble avis, est un écrivain incontournable de la littérature américaine contemporaine et une fois plongé dans l'un de ses romans, on devient vite accro.
Son œuvre est avant tout une atmosphère et Le Ruisseau Noir ne déroge pas à la règle. L'impression de fouillis initial est en fait savamment orchestré. On passe d'une scène à l'autre, d'un personnage à un autre, mais peu à peu l'édifice narratif se construit et ce qui passait pour insignifiant au départ prend par la suite toute sa dimension. Du grand art.
Le traducteur du roman, Nicolas Richard, qualifie ce roman de débonnaire. En effet, son héros, Paul Emmons, est l'incarnation même en fait du anti-héros. Comptable pour un gang de mafieux, il a bénéficié de la protection de témoins et a fui avec son épouse Mary en Belgique, dans les Ardennes. Seulement, Paul s'ennuie ferme et décide de revenir dans son pays natal, quitte à croiser ceux qui n'ont eu de cesse de le rechercher. Paul est un personnage à part. Il accueille les événements avec placidité, ne panique jamais même quand il s'agit de vie ou de mort.
"Il avait été dépassé par les événements mais ce que les choses perdues signifiaient, c'était qu'on pouvait les reprendre. Car qu'était l'Amérique, hormis un endroit où ceux qui avaient enfreint les lois et les coutumes d'une communauté donnée pouvaient aller ailleurs et se fondre dans la masse"?
D'ailleurs, pour rester sauf, il demande à son épouse enceinte qu'il a plus ou moins abandonnée et faussaire d'exception, de reproduire un tableau confidentiel de Nash, Le Ruisseau Noir, pour un de ses ex-patrons mafieux.
"Il y a des choses que j'ignore et que je ne veux pas savoir (...)Mais les gens changent quand ils échouent à quelque chose. Peut-être que chacun finit par rappeler à l'autre ce qu'ils auraient pu faire différemment. Si bien que quand tu regardes la personne, au lieu de voir qui elle est, tu vois la chose qui, dans le passé, a échoué".
Paul croise une multitude de gens, une jeune femme orpheline et prof de golf, le fantôme d'une femme qui s'est suicidée, un couple d'amis rencontré dans ses années étudiantes qui traverse une crise conjugale, le nouveau petit ami de sa femme, diamantaire à Anvers... La liste est longue et à chaque fois l'ancien comptable réussit à en retirer la substantifique moelle pour lever le voile sur sa propre existence. Paul donne de la visibilité aux "angles morts" de sa vie. Cela nous permet de lire des dialogues savoureux, parfois lunaires. C'est cela Tom Drury, "montrer la réalité de la vie à travers la fiction" comme le souligne Nicolas Richard. C'est un univers à part entière qui demande certes un temps de familiarisation mais terriblement addictif.
"Vous allez dans le sens contraire des aiguilles d'une montre dans un monde qui tourne dans le sens des aiguilles d'une montre".
En lisant ces lignes vous aurez compris à quel point il est urgent de lire Tom Drury et de vous confronter à sa littérature. C'est intelligent et profond, bref c'est magique.
Pour découvrir les autres romans de l'auteur c'est par ICI
Éd. Cambourakis, septembre 2022, traduit de l'anglais (USA) par Nicolas Richard, 395 pages, 24,50€
Titre original : The Black Brook