On avait quitté le narrateur, sa compagne Vanessa et leurs deux animaux à la fin des Cimes bleues de la mer où tous avaient testé la porosité des frontières entre le réel et la fiction. Cette fois-ci, L'Archipel aux quatre parfums, comme une partie de son titre l'indique, va faire référence aux parfums qui nous entourent. Fidèle à l'univers Proustien, Le Minot Tiers explique comment, à lui aussi, les odeurs retrouvées lui ont permis de basculer dans le passé.
"Alors, évidemment, en comparaison de Proust et de son célèbre passage de la madeleine, la restitution de la mémoire de ce lieu n'a rien de très poétique. J'en conviens. Mais le phénomène est le même. L'expérience est la même. Une poétique de l'espace re(n)fermé. L'esthétique transcendantale d'une pensée toute simple".
A chaque odeur sa cartographie imaginaire, passée ou réinventée, faussement fidèle mais toujours enfouie en nous. Il suffit d'un parfum pour se replonger en enfance. Qui n'a jamais vécu cet instant trouble où, saisi(e) par une odeur particulière, un torrent de souvenirs déferle ?
"L'absence est parfois encore plus révélatrice que la présence".
De la grotte préhistorique à la maison du grand-père du narrateur, du voyage en Roumanie jusqu'au bord du Stromboli, d'un parcours en voiture en compagnie de Michel Serres, ce tome-ci nous fait voyager. Vanessa est toujours en work in progress, et comme elle connaît un certain succès, elle se retrouve à intervenir dans des salons du livre. Seulement, cette fois-ci, Le Minot Tiers sort de sa cachette et intervient dans la narration.
Vous l'aurez compris ce second tome explore une autre facette d'un thème déjà exploré dans la Recherche de Proust. Les personnages du roman nous sont désormais familiers, on se perd moins dans les méandres du récit, même si consciemment, Le Minot Tiers joue encore avec le lecteur en le faisant explorer des voies fantasmées, vécues ou empruntée à d'autres.
"Ce monde n'est pas le mien. Cette terre n'est pas la mienne. Je ne suis pas d'ici, ai-je souvent pensé. Je parle de Marcel Proust, de son œuvre, de son récit, de son monument, l'incontournable d'une création littéraire qui résiste à l'analyse définitive".
"La stratégie de brouillage référentiel" fait effet sur le lecteur. On se plaît à chercher ce qui est reconstruction fictionnel ou véritable souvenir. On adopte le "syncrétisme géographique" avancé par Le Minot Tiers, on comprend que le lieu imaginaire s'insère dans l'environnement réel, à la manière de Proust.
Forcément, L'Archipel aux quatre parfums appelle un troisième tome, que je vous chroniquerai la semaine prochaine.
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* Le Minot Tiers est un pseudonyme (vous l'aurez compris) derrière lequel se cache Lionel Dupuy, universitaire et et HDR en géographie du sud de la France, qui a publié un essai – tiré de sa thèse de HDR – intitulé L’Imaginaire géographique, essai de géographie littéraire, dans lequel il s’intéresse particulièrement à Proust, Gracq et Carpentier. Enfin, il a beaucoup écrit sur l'univers littéraire de Jules Verne.
Ed. la Ligne d'Erre, mars 2022, 200 pages, 13€