Benson et Mike partagent le même appartement, les mêmes draps, couchent ensemble souvent après une dispute, mais ne savent plus très bien ce qui les unit depuis quelques années. La routine s'est installée et leurs sentiments l'un envers l'autre se sont usés.
Depuis le début de leur relation, Mike et Benson sont un couple improbable à leurs yeux. Ils ne sont ni issus de la même minorité, Mike est d'origine japonaise alors que Benson est noir, ni de la même catégorie sociale, l'un ayant connu la misère tandis que l'autre a des parents bien installés. Néanmoins, tous les deux ont été rejetés par leur famille à cause de leur préférence sexuelle, Ben ayant même été viré de chez ses parents car il est séropositif.
Et puis un jour, Mike annonce à son conjoint qu'il part quelque temps au Japon, à Osaka, voir son père Eiju malade d'un cancer. Pendant ce temps, sa mère viendra vivre avec Benson.
"Et t'as décidé quoi ?
Qu'aimer quelqu'un, c'est le laisser changer quand il en a besoin. Et le laisser partir quand il en a besoin. Et qu'il arrête pas d'être un chez-soi pour autant".
Ben n'a pas son mot à dire, et de toute façon, leur couple est dans une impasse. Lui aussi a des choses à régler avec ses parents aujourd'hui séparés. Son père, en proie à la dépression, est devenu alcoolique, tandis que sa mère a refait sa vie dans une banlieue huppée de Houston.
"Mes parents font comme si j'étais pas gay. Ca leur est plus facile qu'on le penserait".
C'est leur enfance et aujourd'hui les souvenirs qui font ce qu'ils sont devenus. Sauf que certains sont loin d'être bons et il faut y faire face pour avancer.
"Nos souvenirs nous suivent partout, et ceux qui restent sont ceux qui nous ont marqués; c'est comme ça qu'on construit notre vie".
"C'est toujours difficile de revenir chez soi sans succomber à la nostalgie, de se tenir là où tant de versions de toi-même se sont un jour tenues, de passer devant toutes ces maisons de banlieue au charme magique".
Le roman est construit en trois parties alternant les points de vue et les lieux. A Osaka, Mike apprend à composer avec Eiju qui refuse de se faire soigner. Il est le gérant d'un bar fonctionnant essentiellement avec des habitués dont le jeune homme doit hériter s'il le souhaite. Seulement, il n'est pas facile d'établir une relation de confiance quand "chaque regard haineux, chaque bousculade, chaque cri entre [ses] parents avait un goût d'irréparable".
Malgré la distance et les problèmes non réglés, Mike et Benson ont gardé contact. SMS, échanges de photos (insérées dans la narration) et questions qui restent en suspens. Au fil des jours, Ben et sa belle-mère apprennent à se connaître. Il s'apprivoisent à travers un amour commun de la nourriture et du silence.
"Personne peut gagner(...) Tout le monde perd. C'est le principe même".
a toujours pensé Eiju. Cependant Mike est persuadé que sa relation avec Ben a encore une chance, même si les deux protagonistes ne sont pas fidèles. Son retour à Houston sera-t-il le prétexte d'un nouveau départ ?
"Les grands moment sont jamais si grands que ça quand t'es en train de les vivre".
A partir de ce postulat, le romancier propose une réflexion sur les sentiments, la famille et le couple. Ce dernier change en permanence en fonction des contraintes extérieures et du vécu personnel de ceux qui le composent. Sans en avoir l'air, il y a de la profondeur et de la justesse dans ce récit. On sent que Bryan Washington a pris le temps d'analyser tout ce qui en fait la complexité et la souffrance. On ne s'ennuie jamais grâce au style direct, aux changements de points de vue mais aussi grâce aux personnages secondaires qui donnent de l'épaisseur à l'ensemble.
Houston Osaka a été finaliste du prix littéraire Page America 2022 et c'est bien mérité.
Ed. JC Lattès, août 2022, traduit de l'anglais (USA) par Laurent Treves, 400 pages, 21.90€
Titre original : Memorial