"Les hommes comme nous sont faits pour se perdre", lui avait dit un jour son mentor. Et il avait raison car non seulement Charles James l'a trahi mais en plus il a perdu en route l'essentiel, à savoir la joie véritable d'exercer un métier tout en étant en accord avec soi-même.
D'abord vendeur de livres sur les recettes du succès en affaires, il est devenu un showman, un véritable héros aux yeux de ceux qui l'écoutent et le croient. Et puis un jour un de ses clients se suicide, et malgré le cynisme qui lui permet de faire barrière entre lui et la réalité de ce qu'il fait - vendre du rêve à des pauvres hères - Charles perd pied. Le destin va lui rendre service : présumé mort dans une catastrophe aérienne, personne ne sait qu'en fait il a loupé de peu l'embarcation du vol funeste. Il en profite donc pour tout quitter et entreprendre son propre chemin de croix : faire toute la route 66, de Chicago jusqu'en Californie, à pied.
"Je n'avais plus rien. Il fallait que quelque chose change. Quelque chose en moi. D'ici là, j'allais me mettre en route".
Ce défi est un peu sa manière à lui d'exorciser ses chagrins, ses regrets et ses peurs. Son métier lui a fait perdre l'amour de sa vie, sa volonté de réussir à tout prix l'a éloigné de sa famille et son cynisme a renforcé sa solitude. Presque toutes les nuits, il rêve qu'il marche seul sur une route en proie aux flammes. Alors, marcher seul sur ce chemin mythique c'est recommencer à zéro, reconstruire sa vie sur de meilleures bases.
"J'ai fini par comprendre que la route 66 n'est pas un endroit - c'est une idée. C'est la manifestation physique du Rêve américain".
A force de rencontres, d'anecdotes et de visites de territoires jusqu'alors pour lui inconnus, Charles s'ouvre aux autres. "La marche, c'est le chemin", écrit-il sur son carnet de bord, bien décidé de faire de sa vie une réalité et non plus une fiction à laquelle il s'efforçait de croire coûte que coûte. Désormais, gratitude et joie sont liées comme des jumelles, il peut se regarder dans le miroir sans avoir honte de ce qu'il est devenu.
"Nous avons tous deux histoires -le - journal de notre vie, et les fictions que nous inventons autour d'elle".
Une route est le récit de la transformation d'un homme. Marcher pour se retrouver et redevenir celui qu'on s'était promis de rester avant que la richesse et la réussite viennent troubler les bonnes résolutions. Richard Paul Evans ne fait pas de la richesse la cause de tous les maux, il préfère centrer sa réflexion sur le fait que l'équilibre d'un être vient essentiellement du fait qu'il ait trouver sa moitié qui lui permet d'avancer sur le chemin de la vie.
"Il faut perdre sa vie pour la trouver. Se préoccuper de soi, c'est d'abord se préoccuper des autres".
Parfois, le lecteur pourra juger quelques passages too much, un peu mièvres, mais ils ne sont jamais inutiles à la cohérence de l'ensemble. Le choix de chapitres courts donnent l'impression de lire un journal de bord. Une route est un tracé vers la rédemption et la possibilité d'un après qui, à travers l'itinéraire, raconte aussi l'histoire d'une société américaine qui se cherche encore et encore.
Ed. Actes Sud, juin 2022, traduit de l'anglais (USA ) par Pierre Simon, 592 pages, 24.50€
Titre original: The Forgotten Road