Comment mieux critiquer ce qui risque d'advenir de la démocratie si des extrémistes sont au pouvoir qu'en utilisant le pouvoir de la dystopie ? Juli Zeh utilise ce genre littéraire pour asseoir son dernier roman et imaginer une Allemagne débarrassée d'Angela Merkel et affublée d'un nouveau parti, le CCC (Comité des Citoyens Concernés) qui, peu à peu, sous couvert de protectionnisme, limite la liberté de chacun.
Sous ce nouveau régime qui met tout le pays en chantier pour le rendre "propre", Britta et son ami Babak on créé une entreprise, Le Pont. Censée suivre les dépressifs potentiellement suicidaires, elle repère en fait les véritables candidats à l'acte ultime et leur propose que leur mort soit utile à une cause. Le Pont, est l'unique "prestataire de services terroristes du pays".
"Elle vit et travaille en harmonie totale avec son époque. Si elle n'avait pas aussi souvent la nausée, elle se dirait sans doute heureuse".
"Elle habite une maison propre dans une ville propre et est à la tête d'une entreprise propre. C'est sa pierre à l'édifice".
Au fil de la lecture, j'ai eu la sensation désagréable que l'autrice perdait le fil conducteur de son roman. Parfois, les personnages tournent en rond, se plaignent d'une situation invisible sans pour autant définir des stratégies pour régler le problème. L'héroïne, Britta, est une figure détestable, incarnation de l'égoïsme et du mouton de panurge en politique. Juli Zeh a construit son intrigue autour d'elle mais lorsque cette dernière commence à s'effondrer, l'intérêt du récit s'effrite lui aussi.
Je n'ai jamais réussi à rentrer pleinement dans l'histoire. Le processus de distanciation a formidablement réussi. D'habitude, le style froid et dépouillé de l'autrice ne me gêne pas, mais là il n'a fait qu'amplifier mon extrême réserve sur son dernier roman.
Ed. Actes Sud, collection Exofictions, mars 2022, traduit de l'allemand par Rose Labourie, 288 pages, 22.50€
Titre original : Leere Herzen