Or l'intrigue se corse quand une jeune femme vient frapper à sa porte. Elle est belle, se prénomme Alice et lui raconte avec le plus grand naturel que la tente lui appartient depuis quelques années, cadeau d'une amie qui n'est qu'autre que la tante Megan du narrateur, celle qui lui a légué la maison... Alice apporte de la fraicheur dans la vie de l'ermite et même si elle ne répond pas à toutes ses questions, elle arrive à lui faire oublier sa sacro sainte solitude. De toute façon, la maison était trop grande pour lui seul.
"La maison est manifestement trop grande pour une personne. En vivant seul ici, j'ai l'impression d'être un noble décati qui attend son trépas dans un isolement grandiloquent".
N'empêche que cette tente bleue a quelque chose d'hypnotique. C'est le seul endroit où notre narrateur, insomniaque depuis des années, arrive à dormir comme un bébé. L'intérieur est spartiate, l'atmosphère y est lourde, voire trouble. Et l'affaire se corse, quand un homme vient se présenter à la maison, annonçant que la tente lui appartient et qu'il va rester ici quelques jours le temps de refaire le potager.
" Ca fait maintenant trente ans que Megan m'a donné la tente bleue. Je suis allé partout avec elle. Je pourrais même dire que la tente m'a emmenée avec elle, que je l'ai suivie partout où elle est allée".
S'en est trop, le narrateur est bien décidé à percer le mystère...
" Je suis désormais convaincu que l'intention cachée de ma tante, son héritage secret, était que j'interprète et résolve l'énigme de la tente, qui reproduit celle de la bibliothèque et de ses livres, mais avec de vrais sujets humains : une personne en ouvre une autre... les comparer entre elles et faire surgir le sens. Lire une personne seule ne permet pas de la comprendre, rend impossible son déchiffrement".
Au fur et à mesure de la narration, les certitudes du narrateur chancellent. l'homme érudit et sûr de lui du début, se demande s'il ne devient pas fou. Très vite le lecteur se pose la question de la frontière entre le rêve et la réalité. Les invités est-il le récit d'un esprit qui délire ou l'histoire d'un fait authentiquement fantastique ? Tandis que la tente "vomit" ses occupants, le narrateur se demande quelle a été le rôle exact de Megan dans ce qu'il est en train de vivre.
"A l'intérieur de la tente elle même, les choses peuvent à la fois arriver et ne pas arriver (...) C'est comme si la tante offrait une version distincte ou parallèle des événements".
Niché dans les montagnes galloises où on ne croise pas grand monde, ce huis clos est intelligent, souvent drôle et original, mis en valeur par la traduction de Céline Leroy.
Ed. Joelle Losfeld, avril 2022, traduit de l'anglais (pays de Galles) par Céline Leroy, 208 pages, 20€
titre original : The Blue Tent