mardi 5 avril 2022

Apparences trompeuses

"Leur destination était un lieu à la lisière du monde, au fin fond du nord d'un pays nordique, qu'on ne pouvait rallier sans peine. Leur trajet ressemblait à un voyage des siècles passés, une affaire de jours plutôt que d'heures, où la terre grave et réelle sous leurs pieds affirmait constamment son immensité".

Un homme et une femme - ce couple ne portera jamais de nom - se rendent loin de New-York où ils vivent dans l'espoir enfin de récupérer le petit garçon qui leur a été promis dans un orphelinat d'Europe du Nord. Dès l'arrivée à la gare, la ville n'est pas accueillante tandis que l'unique hôtel où ils logent semble désert. En plus des lieux, l'ambiance dans le couple est de plus en plus glaciale. Elle, est malade, en stade terminal d'un cancer et veut récupérer l'enfant pour que son mari ne soit pas seul après, tandis que lui, ne sait plus comment  parler et exposer ses sentiments à celle qui le rejette de plus en plus.

"Elle semblait équipée d'un bouclier qui déviait tout l'amour qu'il lui portait, d'une armure qui la protégeait de tout ce qu'il donnait".

Au Borgarfjaroasysla Grand Imperial Hotel la femme dort beaucoup. L'homme va au bar où il fait la connaissance d'un étrange businessman et d'une ancienne chanteuse célèbre Livia Pinheiro-Rima. A coups de chnaps et de sorties au restaurant, l'homme se sent revivre, un peu.

Même s'il fait la connaissance de l'enfant, le couple ne sait plus où il en est. La femme veut désormais rester et mourir près d'un curieux guérisseur dont elle a fait la connaissance, tandis que l'homme veut prendre l'enfant et partir. Seulement, la neige a recouvert les routes faisant d'elles des haamutie, des routes fantômes, qui empêchent quiconque de partir...

Ce qui arrive la nuit est l'histoire d'un délitement : le délitement d'un monde, celui du grand nord qu'on suppose post Mur de Berlin, celui d'une ville incarnée finalement par son hôtel et son orphelinat, et celui d'un couple. L'hiver, la nuit, les intempéries et les étranges clients de l'hôtel rajoutent à l'atmosphère fantastique de l'ensemble. Il règne une impression de fin du monde tandis qu'au bar, on se croirait dans Shining de Stephen King.

Peter Cameron force la curiosité. On entre dans son roman comme dans un monde parallèle. Le lecteur devient le témoin (non omniscient) du vacillement des certitudes et des basculements entre le rêve et la réalité. Quand l'homme et la femme dorment, l'Hôtel les surveille.


Ed. Christian Bourgois, janvier 2022, traduit de l'anglais (USA) par Catherine Richard-Mas,  340 pages, 23€

Titre original : What Happens at Night