"Mon enfance m'a endurcie, a fait de moi une louve solitaire".
Amy a grandi au fin fond de l'Ohio, à Barnesville, au sein d'une famille dont le grand-père maternel était dragon rouge du Ku Klux Klan. Ses parents ne lui ont pas inculqué les théories suprémacistes, mais son oncle Thomas s'en charge de temps en temps. Chez Amy, rien ne va plus. Depuis que le petit frère est né avec un lourd handicap, son père culpabilise. En effet, il a été parmi les premiers à louer ses terres aux compagnies d'extraction du gaz de schiste. Cela lui permet un revenu régulier, mais depuis, force est de constater que l'exploitation a contaminé les nappes phréatiques du coin. Selon lui, son fil Stonewall est handicapé car son épouse a bu de l'eau contaminée.
Au fond du placard qui lui sert de chambre dans le mobil home familial, Amy, surnommée Chevy à cause de sa corpulence, rêve d'université et de vie meilleure.
"Je me suis toujours sentie moche et indigne d'être aimée. Mais je n'éprouve plus aucun ressentiment envers aucun d'entre eux, même quand en souriant, d'un ton amical, chaleureux, ils m'appellent Chevy".
Mais pour cela, il faut décrocher une bourse puisque ses parents n'ont rien épargné pour elle et vivotent au jour le jour. Chevy ne veut pas devenir comme sa mère qui, parfois, se sauve la nuit pour se donner aux hommes de la ville.
"Une fois, ma mère m'a dit que le fait d'être née, élevée et endoctrinée dans la haine et l'orgueil avait développé sa résistance face à ce monde pourri".
Et puis un jour, tout bascule. Amy aide un camarade de lycée dont elle est secrètement amoureuse. Ce dernier veut piéger les entrées du site d'extraction hydraulique en signe d'opposition. Forcément, l'opération d'écoterrorisme se passe mal et un homme est tué. Chevy est la responsable ; elle sait que si elle est prise, elle pourra oublier son projet universitaire.
"La nuit dernière j'ai tiré sur un homme en pleine gorge. A présent, je suis assise dans cette salle de classe. Le monde n'a pas cessé de tourner. Il s'en moque".
A partir de cette nuit fatale, Chevy va se transformer, devenir un peu ce qu'elle ne voulait pas être. Mensonges, faux-semblants, silences vont devenir ses alliés car c'est une question de survie pour elle.
"Les coutures sont en train de sauter. Ce n'est pas aussi désagréable que je le craignais. Je suis en train de me réveiller de ma propre vie. Tous ces gens sont des silhouettes en carton, des comédiens qui jouent une version bizarre de ce que furent ma famille et mes amis. (...) Je ne les entends plus".
Elle ne flanche pas, tisse sa toile, monte un mur pour se protéger des autres et surtout se rend compte de sa véritable nature.
"Le passé n'est qu'une histoire sur laquelle on tombe d'accord. La vérité réside dans sa propre énonciation".
Elle sera celle qui mettra fin à "la malédiction familiale" quelque soit le prix à payer. Elle pense qu'elle fait ce qui s'impose pour pouvoir s'assurer un avenir.
"C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que illusion de la vie. Et la nuit, le voile tombe, juste ce qu'il faut.
Lady Chevy est un roman remarquable car il utilise les codes sociétaux du bien et du mal et les malaxent pour en faire une histoire forte dans laquelle l'héroïne refuse de briser ses rêves, quitte pour cela d'abandonner certaines de ses valeurs. Amy lutte, contre la réputation de sa famille, contre les soupçons mais aussi contre la vérité. Dès lors, l'auteur décrit comment une jeune personne équilibrée jusque là est capable du pire pour se garder encore une chance d'avenir. En filigrane, il y a une critique forte de la société américaine, de son système profondément injuste d'attribution de bourses, de son racisme ancré, enraciné jusque dans la police - et le personnage du shérif est exceptionnel - , et d'une population de plus en plus paupérisée au point d'accepter de signer un "pacte" avec les pires entreprises polluantes pourvu qu'elle leur apporte un minimum de revenus.
Encore une fois Terres d'Amérique a édité une pépite littéraire.
Ed. Albin Michel, collection Terres d'Amérique, traduit de l'anglais (USA) par Diniz Galhos, 480 pages, 22.90€