mardi 29 mars 2022

Griselda n'est pas Médée


"J'ai lu et relu Médée, la pièce de Sénèque et celle d'Euripide. Ce qu'en dit Ovide dans Les Métamorphoses (...) Cette histoire de passion, de folie, de violence et de mort - d'exil aussi. Longtemps, ce livre s'est appelé Infelix amor, amour malheureux. Deux mots que prononce Médée dans la pièce de Sénèque ; Saevit infelix amor, ce sont les mots que Médée met sur sa folie et sa douleur".

Sauf que la narratrice, lorsqu'elle entreprend d'écouter la fille survivante Flavia et la mère infanticide ne rencontre pas des gens remplis de haine. Griselda a tué ses deux petits garçons. Elle les a noyés dans la baignoire un matin d'hiver. Pourquoi ? C'est la grande question mais contrairement à Médée, ce n'était pas pour faire souffrir un mari adultère. Claudio et elle sont toujours ensemble quarante après. Griselda raconte, se raconte avec pudeur et tente d'expliquer l'indicible, comment elle a basculé dans un gouffre indescriptible.
"Ce jour-là, elle s'était longuement maquillée devant le miroir.
Jusqu'au moment dans la glace, devant elle, il n'y avait plus eu qu'un amas de couleurs.
C'est peut-être là, devant cette image, qu'elle s'est brisée".
Et la narratrice-autrice écoute, ne juge pas, prend son courage à deux mains pour entendre ce qui ne se comprend pas
"En écoutant Griselda, je m'étais approchée d'un gouffre. De l'insoutenable, de l'incompréhensible. De l'effroi.
Mais trouver sur le chemin de mon enquête ces mots et ces objets me rassurait.
C'est que les histoires font du bien".
Au-delà du drame, Par la forêt est aussi une histoire de pardon et d'amour. Flavia a pardonné à sa mère tout comme Claudio est resté avec la femme de sa vie. La prison, les soins, la réhabilitation pour oublier ce matin néfaste où elle est entrée dans la nuit
"Ce jour-là avant ce qui s'est passé, elle avait voulu s'oublier dans les couleurs, mais elle est entrée dans la nuit.
Et la nuit, après ce jour-là, ne l'a plus jamais quittée".
L'entourage n'a-t-il pas vu les signes d'une dépression arrivée au bout d'un cycle ? Griselda avait l'esprit confus, les sens en éveil pourtant, et la certitude que tout serait différent à partir de ce jour-là. Elle a              bien demander de l'aide mais à demi-mot, sans insister.

"Mais ce cri n'existe pas, il ne peut pas exister, ce cri est impossible".
Le cri est resté muet. Alors Flavia parle volontiers de sa mère et insiste sur leur amour mère-fille.

« Dès notre premier rendez-vous au Bûcheron, Flavia m’a parlé de la mère que Griselda a été pour elle, durant toutes ces années. Présente, aimante. Très aimante. Elle m’a regardée dans les yeux en prononçant ces mots. Pour s’assurer que j’avais bien entendu, pour me faire savoir qu’elle ne disait pas ces mots à la légère. “ Aimante, vraiment.” » Griselda était la mère de trois enfants, deux garçons et une fille. Un jour d’hiver, au milieu des années 80, alors qu’elle était exilée en France, elle a noyé ses deux garçons dans la baignoire."
Au bout du tunnel, la lumière est la perspective de survivre à l'infanticide. Flavia a été cette lumière qui a permis à Griselda de se guider et de surmonter. Le mystère du geste de Griselda reste entier mais ce livre montre à quel point le temps, l'amour, le pardon sont essentiels.


Ed. Gallimard, collection La Blanche, 208 pages, 18.50€