La vie humaine peut se résumer en jours de la semaine comme celle de Salomon Grundy "né lundi de mucus et le sang", et "embaumé et vidé et enterré dimanche" : l'enfance, le mariage, l'adultère, la mort, la maladie. On supporte tout, cherchant les moments où seule avec soi-même on se souviendra des Conseils d'une marraine :
"Essaye de rester vivante jusqu'à ta mort.
Un soir tu te retrouveras
en train de chanter dans ta voiture
dans une rue éloignée de là où tu vis
et la radio est en marche, et tes yeux sont fatigués".
D'abord perçu comme le seul moyen de fuir la maison de l'enfance,
"S'il te plaît épouse-moi fais-moi
sortir de cette maisonoù mon père prend ma langue
comme un amant où le portrait de famille
gémit sur le mur "(A qui de droit)
le mariage devient vite une forme d'aliénation domestique. Il n'est pas rare que la femme soit trompée, le mari emporté par Une Ensorceleuse , ou qu'elle rêve d'autre chose, et cet autre chose ne peut être qu'une aventure sentimentale dans lequel le schéma traditionnel bonne mère et bonne épouse est bousculé.
"Fermez-les. Laissez-le
vous mener lentement jusqu'au lit. Non
direz-vous, il fait jour
et mon mari candide me fait confiance
Faites-moi confiance - c'est
votre moment - celui
dont vous vous souviendrez". (Paume)
"Oh, j'ai aussitôt reconnu mon supplice.
Le chien hurlant de la vie à la lumière du jour. les années
de désir fou ont ouvert
une auberge permanente pour fantasmes dans mon cerveau
Et puis, j'ai eu quarante ans". (Quincaillerie dans une ville sans hommes)
"Avoir aimé
et avoir souffert. Avoir attendu
pour rien, et pour rien être venu".(A la fin du texte, une petite forme bestiale)
Chez Laura Kasischke la mort est omniprésente ; elle choque car elle est surtout un scandale qu'on n'arrive pas à expliquer. Pour l'amadouer, l'accepter un peu, on parle avec les fantômes, ceux qui sont déjà passés par le tunnel qui nous emmène hors de la vie :
"Elle plonge dans le tunnel. Elle
tourbillonne dans le tunnel
Et je sens le vent, j'imagine
la plage aujourd'hui, je suffoque
dans la fraîcheur". (Cloches de glace)
Il n'est pas rare de croiser le spectre d'un être aimé, de converser avec lui, la nuit, les étoiles brillantes dans le ciel. La mort n'est qu'une étape vers un ailleurs qu'on ne décrit pas mais qui garde une frontière extrêmement tenue avec le monde des vivants. Mais il est question d'amour aussi. Beaucoup.
"Une pomme d'amour est
comme un peine de cœur - exactement
comme une peine de cœur - quelque chose
de doux et rouge torturé à mort". (Pâtisserie)
Laura Kasischke écrit de la poésie pour mettre des mots sur des instants vécus, des impressions fugaces, mais son jardin reste terriblement secret.
"Il y a des choses que j'ai dites et faites qui m'appartiennent encore". (Internet)
La sensation est privilégiée, d'où les ruptures de construction qui permettent aussi de réfléchir un instant, reprendre son souffle, ou savourer les mots qu'on vient de lire.
Sa poésie se lit lentement, par fragments. Il faut prendre le temps. Une contravention, le passage à Internet, la pluie sont autant de sujets qu'elle a transformés en poèmes. Il était temps d'en faire leur connaissance dans son ensemble.
Ed. Gallimard, collection Du Monde entier, octobre 2021, traduit de l'anglais (USA) par Sylvie Doizelet, 384 pages,23.50€
Recueil de poèmes