lundi 29 novembre 2021

Ne pas suffire

 


Elle et Lui.
Elle est universitaire, "une théoricienne" de la littérature comme il se plaît à lui répéter.
Lui est écrivain, reconnu pour ses nouvelles ancrées dans la réalité.
Ils se rejoignent dans une station balnéaire belge, descendent toujours au même hôtel qui offre une vue unique sur la plage.

"Elle aimait ce passage à la frontière, un ralentissement discret, on ouvrait les yeux vers quelque chose et de nouveau, dont la différence, presque insensible, la séduisait à chaque fois".

Elle, prend le temps des choses, marche lentement, contemple.
Lui, est pressé, marche vite, souvent devant elle si bien qu'elle a l'impression de ne pouvoir jamais l'atteindre.
Il n'aime pas les signes d'affection en public, elle si.

"Elle lui avait d'emblée lancé qu'il était un curieux mélange d'animal à sang froid et d'animal à sang chaud. Il avait été stupéfié, qu'elle pût oser, il était susceptible, très, mais il avait admis, un peu suffoquer par sa témérité".

Sa relation amoureuse avec cet "homme impossible" a commencé après une relation amicale. Ils aimaient échanger sur la littérature en général et ses textes à lui en particulier. C'est un complexé, et il a trouvé en elle "un soutien inconditionnel", "une lectrice infatigable et gourmande".

"Elle lisait. Elle se glissait non dans l'eau mais dans ses mots. Il avait quand même ce don de mener insensiblement, par touches blanches, vers la fissuration".

Elle sentait bien que leur relation était compliquée, mais elle voulait y croire, composant avec ses silences, sa susceptibilité, ses sautes d'humeur. Elle ne posait jamais de question sur sa vie, ses appels, ses évitements.

"Elle aurait dû renoncer, ne pas s'exposer à ce silence possible, cette parole refusée dans l'ignorance, avec quoi il allait falloir tout de même protéger la lenteur qu'elle avait souhaitée pour cette journée de possession regagnée".

Et puis les rencontres se sont espacées. Il a voulu lui expliquer, lors d'un week-end à la mer, l'origine des appels qu'il n'avait de cesse de recevoir. Or elle ne voulait pas savoir, ne demandait rien. Elle a entendu et il a osé lui demander à demi mot une forme de compréhension.

"Elle ne savait que cette évidence : elle n'avait pas suffi, là où une autre recevait ce dont elle avait été insensiblement démunie".

Alors elle s'est noyée. Une forme de dilution lente et tenace face à l'incompréhension, "parce que, finalement, elle était de ceux qui ne se suffisaient pas". Il n'a pas jugé utile de donner une réponse au pourquoi. L'explication n'est pas le fort de "cet homme toujours hors de lui, sans jamais en sortir pleinement". On pourrait parler d'effacement.  "Mais pour elle, c'était toujours la nuit des choses" car il fallait désormais affronter le quotidien avec ce nouveau poids au cœur.

"Un faussaire d'émotions qui venait de lui arracher toutes les siennes. Elle se noyait".

Ce roman est une maïeutique. L'écriture libère, permet de mettre des mots sur l'indicible, de "redonner de la différence dans l'indifférence et la dilution". Lui est parti papillonner ailleurs, avide de briller au yeux d'une autre. Lui prendre la main en public aurait prouvé au monde qu'il est attrapé, soumis. Elle, la "théoricienne", n'arrive pas à le dépasser ; il marche si vite. Ce besoin évident d'être devant, de contrôler, de dominer...

"Malgré tout ce qui avait été, elle resterait celle qui n'avait pas suffi".

Il y a pire que le silence, c'est la culpabilité. Cette dernière alimente le complexe d'infériorité, au point que lorsqu'elle prend le train qui l'amène vers l'université où elle travaille, elle se demande si la petite cabane au bord du plan d'eau qu'elle croise toujours dans le paysage, ne serait pas un refuge.

La Nuit des choses est remplie de fulgurances littéraires. La colère et la fureurs sont absentes. L'autrice met des mots sur l'effritement d'une histoire, sur l'éloignement d'un homme qu'elle a osé aimer et qui n'a pas su ou voulu recevoir cet amour.

Ed. des Instants, octobre 2021, 175 pages, 16€