jeudi 26 août 2021

Qui est l'Homme sauvage ?

 

Je pioche dans ma bibliothèque et je relis des romans qui m'ont marquée jadis.

Une relecture est finalement une nouvelle découverte puisque le temps a passé nous laissant que des fragments de souvenirs.


L'Homme du cinquième jour de Jean-Philippe Arrou-Vignod a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en 1997.

Ma première lecture date de 2001.


"De la Bible à l'épopée de Gilgamesh, en passant par les récits chinois ou indiens, les grands textes fondateurs de notre Histoire abondent en représentations d'un être velu et sauvage dont l'origine semble se perdre dans la nuit des temps. Il en va de même des bas-reliefs, peintures médiévales et autres figures énigmatiques dont elle a dressé le savant inventaire".

Le mythe de l'homme sauvage a traversé paisiblement les siècles sous des appellations diverses mais toujours avec une physionomie qui ressemble à s'y méprendre à celle que l'on se fait de Cro-Magnon. Volontairement (ou non) il fait partie du folklore mais aussi de notre histoire intime car le jeune esprit curieux a eu un jour un intérêt  prolongé sur sa légende.

"Loin d'être de pures créations mythologiques, domovoï, sylves, deva, faunes et autres génies des bois seraient bien au contraire la trace préservée dans l'humus folklorique d'êtres sauvages dont la présence a accompagné les premiers progrès de notre civilisation".

L'auteur s'empare donc de cette toile pour tisser un roman d'aventures contemporain qui, au fil des pages, devient la quête d'une vie et interroge sur les sacrifices pour y parvenir. C'est pourquoi opposer deux points de vue différents sur un même sujet permet d'élargir le champ de la narration. D'un côté, Morane, dont le nom fait incontestablement penser à Bob Morane l'aventurier, héros éponyme des romans d'Henri Vernes, journaliste free lance d'abord intéressé par le scoop de la découverte ; de l'autre Richard Exelmans, anthropologue paria  pour avoir défendu bec et ongles l'existence de l'Homme du cinquième jour, l'almasty des Carpates.

"L'énigme de l'almasty, il le comprenait soudain, dépassait celle de son existence. Illusion ou réalité, l'Homme du cinquième jour ne faisait que renvoyer les hommes à cette part obscure d'eux-mêmes où gît le secret de leur histoire".

Obtenir la preuve irréfutable de la présence de cet anachronisme biologique reviendrait à battre en brèche toutes les études sceptiques sur la question. Pour Exelmans, "c'est l'absence d'imagination qui fabrique des légendes", et la peur de l'inconnu et/ou de l'inexplicable freine les meilleures volontés. Et puis, ne serait-il pas le miroir de ce que nous serions si nous n'étions pas soumis à la civilisation ?

Leur aventure va les emmener dans le Caucase, au fin fond d'un chaos de cavernes, de forêts et de falaises où la jeune Natalia, fille d'un ingénieur-géographe de l'armée russe ayant jadis croisé le chemin de l'almasty, va leur servir de guide. Ainsi, elle espère réhabiliter la mémoire de son père dont le journal de bord de son expédition a été volontairement étouffé par les autorités.

Dès lors se pose la question de l'authenticité de la main coupée présentée aux scientifiques comme étant celle du Gigantopithecus. Fake ou preuve irréfutable ? Et si l'existence de l'almasty est certifiée, comment écrire l'histoire de ce fragments oublié d'Humanité ?

Avec le temps, L'Homme du cinquième jour n'a pas perdu de sa superbe. Arrou-Vignod utilise habilement les codes du roman d'aventures pour garder le lecteur en haleine jusqu'au bout. Pour autant, il n'oublie pas la dimension humaine de la quête. Tout sacrifier pour obtenir la vérité peut ressembler à de l'égoïsme forcené vu de l'extérieur. Seulement, si on y accorde plus d'attention, on s'aperçoit que le sacrifice donne un sens à la vie de celui qui en a fait son obsession en devenant une quête de soi.