Au Tiers-Temps, modeste maison de retraite de la rue Dumoncel à Paris, réside un homme discret, grand, maigre, dont la manie est de veiller tard le soir pour écrire. Cet homme c'est Samuel Beckett, Prix Nobel de Littérature. Il vit à cet endroit depuis la mort de son épouse Suzanne. Un peu comme Malone, un de ses personnages, il attend la fin, sans pour autant se laisser glisser.
"Rue Dumoncel, je n'entends pas les mouettes. Je n'entends même plus Suzanne. Je n'entends plus rien. J'entends seulement ce que j'ai déjà entendu".
Car Beckett reste un homme lucide. Solitaire, il préfère l'isolement de sa chambre - son nouveau trou pour écrire - à la salle du réfectoire ou des activités. Cependant, il entend, il devine, il sait ce qui se joue dans les chambres voisines de la sienne.
"Cette chambre n'est pas vraiment la mienne. Ce n'est pas ma chambre. C'est là qu'on me garde. Là que je réside, que je reçois désormais mes lettres".
"Que le silence se remette à bramer. Le silence bruyant de la vieillesse dans sa dernière demeure".
Ce n'est pas tant la mort prochaine qui met en colère cet athée convaincu, mais la vieillesse qui fait de vous inexorablement un grabataire. Prendre un bain est un exploit, marcher sans canne aussi. Quant à l'écriture, elle file, et les mots qui venaient si vite jadis ont tendance à disparaître.
"Il reste si peu. Des espaces, des interlignes - désert blanc. J'ai si peu de mots. Ils sont tous usés jusqu'à la moelle".
Heureusement les souvenirs sont encore là, les visites de l'Editeur, "ami fidèle parmi les fidèles", aussi. Alors Beckett convoque son enfance en Irlande, ses premières années à Paris, sa maison à Ussy et surtout son œuvre, ses personnages. Ces moments permettent à l'écrivain de supporter le présent.
Mayllis Besserie s'est emparé du personnage-écrivain Samuel Beckett pour offrir au lecteur une exofiction de haute tenue qui permet de découvrir cet auteur (souvent mal aimé des lycéens) sous un autre jour.
Néanmoins, en filigrane, la mort s'invite à chaque page. Elle est là, elle attend, tapie derrière les murs de la chambre, dans les cris de la voisine, dans les amis qui ont disparus, dans la motricité perdue un peu plus chaque jour. Mais l'autrice présente un Beckett revanchard, en lutte, armé de sa plume. L'écriture sauve de tout, même de notre propre décrépitude.
Ed. Gallimard, collection La Blanche, février 2020, 184 pages, 18€
Prix Goncourt du premier roman