Il a suffi d'une femme pour que le monde d'Eustis s'effondre. Pour justifier sa fuite avec elle sur une petite île sorte de nouvel Eden improvisé, il s'est persuadé que cela était la volonté de Dieu. Car sinon, comment un homme pieu, père de famille et travailleur acharné aurait pu sombrer à ce point ?
"Sue était comme les méchants contre lesquels s'emportaient les prophètes : elle portait des vêtements comme eux et elle avait cette petite chaîne en or, à la cheville".
(...)
"En repensant à la folle période qui a suivi, presque jusqu'à la fin, j'ai pu distinguer une seule chose de sûre dans ce tourbillon : c'était la volonté de Dieu qui m'avait amené vers elle, car c'était au service de Dieu que je me consacrais, quand je l'avais vue pour la première fois au pavillon, sur l'autre bord du lac Jordan".
Alors Eustis est comme celle avait qui il s'est sauvé : Sue baptisée Beulah, une pêcheresse. Il s'est décidé à la remettre sur le droit chemin, mais quand il s'aperçoit que cette tâche lui est impossible, il décide de la supprimer. Il la noie, sorte de baptême en mode blasphème.
"Beulah m'avait montré que je ne pouvais pas la sauver, user de mon pauvre pouvoir de pêcheur pour la relever".
Le roman est choral. Hommes de justice, de foi, famille, témoins, journalistes y vont de leur point de vue. Chacun s'accorde pour dire qu'Eustis est responsable de ses actes.
Comme son père jadis qui a mis le feu à leur maison en tuant sa famille, "il y avait deux personnes dans ma tête et toutes les deux étaient en moi", se justifie Eustis. Le déterminisme devient une défense comme une autre pour justifier cet acte impardonnable.
Au fin fond du Mississippi, la religion est reine et le racisme y est ordinaire. Alors, un homme blanc, pieux, qui tue sa maîtresse blanche...
Le texte de Shelby Foote est parsemé de symboles, de non-dits, que le lecteur peut interpréter comme autant d'indices sur ce qui se joue vraiment. Il y a le procès et l'avant-procès. Il y a le jugement et l'après-jugement. Et Dieu dans tout ça ?
Ed. Gallimard, mars 2021, traduit de l'anglais (USA) par Maurice-Edgard Coindreau et Hervé Belkiri-Delhuen, 400 pages, 21€