jeudi 29 avril 2021

Destination Amérique


Avoir du succès. Un rêve de gosse pour Barry. D'ailleurs, gamin, il avait identifié ce désir sur une carte des Etats-Unis, à un endroit paumé appelé Lake Success. Ce nom, ça claque, ça montre que vous avez réussi. Trente ans plus tard, Barry est riche, très riche, mais il est malheureux. Le Narcisse qu'il est refuse de voir les choses en face. Son épouse Seema le tacle en public, son fils Shiva vient d'être diagnostiqué autiste sévère, et ses affaires sont dans le collimateur de la brigade financière. Un soir, il a suffi que son voisin écrivain le remette en place et lui montre à quel point il est déconnecté du monde réel, pour que Barry prenne la fuite.
"Vous créez un monde où tout, hormis la plus grande richesse, est vu comme un échec moral".
Et pour partir loin, autant prendre le mode de transport le plus utilisé par les Américains : le bus Greyhound.
 "Mais là, on prenait la route, et une fois qu'on avait pris la route, c'est le pays tout entier qui défilait pour nous saluer et nous resservir du thé glacé".

Traverser l'Amérique pour rejoindre Leyla Hayes, sa fiancé avant qu'il devienne riche. Elle habite El Paso, loin des quartiers riches de New-York où vit Barry. Par contre elle ne sait même pas qu'il vient à sa rencontre, car en bon Narcisse, Barry se persuade qu'elle ne pourra qu'être heureuse de le revoir. 

"Les montres permettaient à Barry de garder la tête froide. Même s'il fuyait tous ceux qu'il connaissait, il garderait la tête froide".
(...)
"Il n'y arriverait jamais sans les montres. Il ne pouvait pas vivre sans leur tic-tac insistant ni le tour prévisible du balancier, ce bourdonnement doré de mouvement et de lumière au cœur de la montre qui donnait l'impression qu'elle avait une âme. Chaque montre racontait une histoire".

Barry a jeté son téléphone, sa carte de paiement. C'est avec un peu de liquide et sa valise avec ses montres de luxe qu'il prend la route et rencontre dans les bus tous ceux qui font l'Amérique d'aujourd'hui.
"Barry s'était libéré du sombre carcan de sa propre existence.
Il avait trouvé refuge en Amérique".
Peu à peu, ses préjugés s'effacent, il tombe amoureux plusieurs fois, se réinvente chaque jour.
"Chaque matin, la même pensée : Qui suis-je censée être aujourd'hui"?
Barry s'éloigne peu à peu du champ de chagrin de son existence, manière pour lui de ne pas prendre ses responsabilités en tant que père. Il est tellement persuadé de l'efficacité de Seema...

"Barry se dit que ce pays, c'était tellement plus que les gens qui le peuplaient".
Et si revoir Leyla Hayes et tout recommencer allait faire de lui un homme nouveau ?

On adore et on déteste Barry, personnage haut en couleur, pétri de défauts et pourtant touchant. Sa vision de la société se modifie au fil des kilomètres avalés en bus. Gary Shteyngart embarque le lecteur dans un voyage au long cours, assis comme passager, voisin anonyme et omniscient des expériences du héros.
Naïveté et cynisme s'affrontent parfois. Il y a un avant et un après Greyhound. Barry a changé ses perspectives tout en restant le même. Il suffit d'assumer ce qu'on est.


Ed. Points, janvier 2021, traduit de l'anglais (USA) par , 528 pages, 8.90€