Paru une première fois en 1981 sous le titre français L'Oiseau d'Amérique, ce roman de science-fiction qui projette l'Humanité dans quatre cents années n'a pas pris une ride car les thèmes abordés tels la perpétuation de l'espèce humaine, la technologie robotique et l'accès à la connaissance via la lecture restent universels.
Dans le monde de Mary-Lou et Paul les humains ne se soucient de plus rien. La moindre contrariété est palliée par la marijuana ou l'anxiolytique. Et quand la lourdeur de vivre est trop forte, on se suicide collectivement. Ce sont les robots qui gèrent tout, dirigés depuis des centaines d'années par Spofforth, robot de classe 9.
"Le cerveau métallique de Spofforth avait été fabriqué, et son corps développé à partir de tissus vivants, à une époque très lointaine où l'ingénierie était en déclin mais où la construction de robots était un art des plus sophistiqués".
Ironie du sort, Spofforth n'a qu'une idée en tête, se suicider afin de mettre fin à une vie qui finalement n'est pas vraiment une vie au sens philosophique du terme puisqu'il a été créé par l'intelligence humaine.
"Il ne désirait pas vraiment vivre. On l'avait horriblement trompé, en le privant d'une véritable existence humaine. Quelque chose en lui se rebellait contre l'obligation de vivre une vie qu'il n'avait pas voulue".
Paul Bentley lui, a soif de vivre. Depuis qu'il a appris à lire tout seul, il prend de plus en plus de recul sur la société agonisante qui l'entoure. Sa rencontre avec Mary-Lou dans le zoo du Bronx remet en question tout ce qu'on lui a inculqué enfant. Tout arrive en même temps : la culture apprise grâce aux livres et le sentiment amoureux. Ensemble, ils apprennent la "mémorisation" et refusent d'être sous l'emprise de cachets.
Or, Spofforth veille et, un peu par jalousie, décide de condamner Paul pour ensuite s'accaparer la jeune femme, enceinte. Envoyer Paul en prison était simple puisque la lecture, considérée comme "un acte trop intime" est puni par la loi.
"Elle conduit les humains à s'intéresser de trop près aux sentiments et aux idées de autres. Elle ne peut que vous troubler et vous embrouiller l'esprit".(...) "C'est une grossière invasion de l'Intimité".
Dans ce monde où ne compte plus depuis longtemps les années, Paul va lutter pour recouvrer la liberté et retrouver Mary. Souvent, il se remémore les vers d'un poème découvert dans un vieux livre: "L'oiseau moqueur chante à l'orée du bois". A force de lectures, de souvenirs et de rencontres avec d'autres humains rassemblés en communautés religieuses, Paul va apprendre à être lui-même et à penser seul. Il ne rejette pas la tristesse qui l'assaille lorsqu'il pense à Mary car ce sentiment lui permet de se sentir vivant. De plus, il sait que pour la récupérer, il lui faudra affronter Spofforth et tout ce qu'il symbolise.
L'Oiseau-moqueur mérite d'être compté parmi les classiques de la science-fiction. La technologie a tué les sentiments et les émotions. C'est dans un univers désincarné que les êtres humains évoluent et attendent la mort. Walter Tevis imagine que c'est la lecture et l'écriture qui, encore une fois, permettront à l'Humanité de rebondir de faire face. La pensée et la culture sont des remparts contre le néant, les livres des armes contre le vide.
Ce roman aurait pu être écrit par Barjavel ou Bradbury et participe à la thématique contemporaine selon laquelle la robotique et l'essor technologique seront nos ennemis de demain, (s'ils ne le sont pas déjà en partie)
A découvrir sans tarder.
Ed. Gallmeister, janvier 2021, traduit de l'anglais (USA) par Michel Lederer, 336 pages, 10.4€