Adrian Van Gott raconte ou plutôt se raconte. Il a décidé d'en finir, de mettre un terme à trois siècles de tourments. Car le héros du nouveau roman De Richard Malka est né à Venise au XVIIème siècle, fruit des amours d'un couple de bourgeois mal assortis qui, au moment de sa conception ont prêté chacun de leur côté un drôle de serment qui a maudit sans qu'ils le veuillent, l'enfant à naître.
"Les serments blasphématoires de mes parents à l'instant précis où ils me concevaient ont défini ma nature et entraîné ma mutation. Pas une autre. Celle qui fait de moi un homo incognito. Une créature dotée d'un pouvoir maléfique"."Par leurs serments, mes parents avaient sacrifié leur nature, créant un désordre".
Adrian est un vampire, mais il ne se nourrit pas de sang. Son nectar est plus subtil. Par un simple baiser, il se repaît des sentiments de sa victime ; le sentiment amoureux le rend plus fort, plus puissant. A défaut de les tuer, il les laisse sans volonté, vide de toute émotion.
"Je viole par mes lèvres les citadelles les mieux gardées. Mon hormone vorace s'introduit dans le corps d'autrui et extrait la sève de mes victimes pour s'en nourrir. C'est une transfusion forcée".
Le fluide amoureux est une substantifique moelle. "La nature humaine est structurée par ce fluide. Le caractère, le tempérament, les émotions de chacun en dépendent". Adrian traverse les années en refusant de se donner entièrement par peur de tuer sa partenaire. Il apprend à maîtriser le désir amoureux, à s'en affranchir parfois pour ne plus souffrir. C'est un être désespérément seul qui emmagasine aussi les souffrances de ses victimes. Il est le témoin de la folie d'un monde en perpétuel mouvement.
"Je serais pour l'éternité le rappel de leur souffrance. Je n'obtiendrais jamais ce qu'ils ne pouvaient donner".
Adrian a décidé de mourir car il se sent vide et ne se sent plus le droit de survivre aux autres.
"Mais d'espoir il n'y en avait plus. Jusqu'à la fin des temps, il me faudrait vivre avec le vide".
"Adrian Van Gott a cessé d'exister. Mon passé est devenu irréel".
Il écrit à sa dernière compagne, incarnation selon lui de son premier amour vénitien. Il y décrit tout ce qui a fait son existence bien remplie. De son côté, sa bien-aimée, se doute qu'Adrian cache un lourd secret. Elle enquête sans toutefois réussir à bien comprendre ce mystère incarné.
"Adrian fait peur. Tout est mystère autour de lui. Son être est un danger lancinant. Son corps est indécent de perfection, son ambiguïté fait vaciller. Il semble chasser en permanence".
Elle sent qu' "Il y a de l'inhumain en lui". "S'approcher de lui, c'est avancer dans le noir, dans l'obscurité de sa lassitude". Or elle se refuse de quitter cet être tourmenté. Ses secrets, sa prévenance, sa richesse n'ont pas d'origine. Qui est donc vraiment Adrian Van Gott ?
Richard Malka revisite le mythe du vampire pour offrir un roman de bonne facture qui creuse une réflexion sur les tourments du désir et de l'immortalité.
Le Voleur d'amour décrit les grandes mutations du monde et la folie des hommes au cours des siècles à travers les yeux pâles d'un homme de plus en plus désabusé et qui se courbe à cause de la lourdeur de son fardeau. La métaphore est belle : l'amour est un fluide qui assure la survie et permet d'accéder à une forme d'éternelle jeunesse.
Ed. Grasset, février 2021, 224 pages, 19€