Qui sont les femmes finalement ? En six nouvelles, Oates propose des portraits en patchwork. Amante soumise ou épouse jalouse, vilaine fille, cobaye malgré elle, ou objet de fantasmes dégradants, aucune ne laisse indifférente.
Chez Oates, on rentre toujours dans l'intime. La particularité de son style avec cette écriture en italique qui prévient le lecteur qu'on rentre dans le tréfonds de l'âme humaine, permet de se faire une idée très précise entre le paraître et ce qui est enfoui. Ainsi, on peut attendre son amant nue et en talons aiguilles, véhiculant ainsi l'apparence d'une femme soumise, et être finalement quelqu'un en pleine révolte, partagée par un sentiment d'amour et de haine.
"Est-ce qu'elle est belle ? Elle sourit à cette pensée.
Elle est la femme à la fenêtre. Dans la lumière blafarde d'un matin d'automne à New York.
Attendant sur le fauteuil en peluche bleue. Onze heures du matin". (Femme à la fenêtre)
La beauté est relative. C'est ce qu'on aimerait croire dans une société où elle revêt trop d'importance. C'est quoi être belle ? C'est faire tourner la tête des hommes lorsqu'on les croise, ou plaire à celui qu'on aime ? Dans Le Sujet expérimental, la jeune étudiante en soins infirmiers n'en revient toujours pas d'avoir plu au chercheur en biologie chargé de cours. Et tant pis si parfois il adopte avec elle une attitude étrange et tente de garder leur relation secrète. Pour elle, cette histoire d'amour est inespérée et répare l'estime dégradée qu'elle avait de sa personne. Sauf que l'amour est aveugle, ce qui est pratique quand on se retrouve bien malgré soi au cœur du Projet Galahad, destinée à être inséminée par un chimpanzé mâle...
Soleil du matin, Edward Hopper |
Vouloir créer une nouvelle espèce hybride, interdite, un Humainzé, pose la question de la religion. Et Dieu dans tout ça ? Ses adeptes, les femmes surtout doivent véhiculer (normalement) un message d'amour et de bienveillance, même envers ceux qui ne rentrent pas dans les critères de beauté, "surtout quelqu'un qui porte la marque de la bête sur la figure aux yeux de tous", au point d'en faire des personnes à la marge.
"Cette partie de ma vie allait être semblable à une maladie qui commence par la fièvre, des frissons et une nausée si forte que, même lorsque le pire de la maladie est passé, on se souvient toujours de son paroxysme, et non de ce qui a suivi". (La Marque de la bête)
Alors, parfois, une seule solution subsiste : "tuer ou être tué" pour enfin exister, ne plus être "une moins-que-rien" et s'échapper du piège qui se referme inexorablement.
"Elle a fini par détester être piégée ici. Où il est toujours onze heures du matin et où elle est toujours en train de l'attendre, lui".
Au tour de l'oppresseur de subir :
"C'est lui l'oppresseur. Lui qui a assassiné ses rêves.
Lui qui doit être puni avant de pouvoir la quitter". (Femme à la fenêtre)
Ce recueil de nouvelles donnent la parole à "ceux qui avancent blessés", victimes du regard des autres et des attendus de la société.
"Il ne veut pas lui faire de mal. Il ne veut même pas l'effrayer.
Ce qu'il veut, c'est qu'elle reconnaisse son existence.
Elle lui doit (pense-t-il) bien ça. Une aumône, pour laquelle il lui sera ridiculement, abjectement reconnaissant".
Ne plus être la femme au foyer absorbée par les tâches quotidiennes "qui vous sucent le sang petit à petit, dans les quantités les plus infimes" ; ne plus être celle qu'on a honte de présenter en public; ne plus être enfin celle qui attend l'autre pour avoir le sentiment d'exister.
Femme à la fenêtre est un recueil dont les nouvelles se font écho. Les abus physiques et psychologiques ne sont jamais loin, suggérés souvent, ce qui amplifie la tension sourde déjà mise en place par l'intrigue. On plonge dans les tréfonds de l'âme humaine, de leur mécanisme, et le procédé mis en place fait mouche. Du grand art littéraire.
Ed. Philippe Rey, octobre 2020, traduit de l'anglais (USA) par Catherine Chauché, 352 pages, 21.50€