mercredi 20 mai 2020

Gare aux mégalodons !



Le roman débute sur une scène de crime en direct, assez sanglante, dans une villa très chic de Cap Martin sur la Côte d'Azur. On pourrait croire que ces premières pages inaugurent le début d'une enquête, mais en fait non. Ce sang versé gratuitement et sans mobile - puisque le lecteur ne connaîtra jamais l'identité de l'agresseur - n'est finalement que l'écho de ce qui se passe sur ce territoire ensoleillé, refuge des ultra-riches complètement déconnectés de la réalité. 

Justement, pour mieux les préserver et ne pas changer leurs petites habitudes on a même fait construire des herses géantes à  Gibraltar pour préserver la mer Méditerranée. De quoi ? Des mégalodons, ces baleines du temps des dinosaures, revenues du fond des âges et qui ont semé la terreur en prenant pêcheurs et baigneurs pour leurs en cas. A l'époque, Lucian Beaverfield, océanographe de renom a alerté l'opinion publique de leur improbable retour mais il en a payé cher le prix. Désormais, il vit reclus, persona non grata pour avoir dit la vérité et forcé les autorités à agir.
"D'où sortent-ils ? L'énigme n'a jamais été résolue. (...) Bien entendue toutes les hypothèses ont été envisagées. La plus courante reste celle d'une mutation due aux divers fûts de boues toxiques balancées par l'homme un peu partout au hasard des fosses océanes".
Or, lorsqu'il voit au loin une femelle mégalodon échouée sur la plage, il comprend vite que les herses ont subi des dommages et que les géants des mers reviennent hanter la mer poissonneuse et limpide.
"Voilà où on en est en ce mois de juin 2022. La planète n'a jamais été aussi bleue. Depuis l'espace, on dirait que Poséidon y a récemment jeté un bloc de Canard WC"
Un crime dans une résidence huppée et le retour du danger incitent un couple à sortir de chez eux et affronter enfin l'extérieur. C'est sûr que Jonathan, alias Asta Roth dans le monde de l'art contemporain, et sa compagne ont vécu bien trop longtemps à l'abri de leur splendide villa. C'est la visite des policiers - dont un du FBI en stage en France - qui va les inviter à "revivre". Désormais, Jonathan n'aura plus cette allure de "Liberace les yeux dans les phares".

 Les brusques changements de paysages durant quelques fractions de seconde désorientent les personnages en présence et rendent l'intrigue plus nerveuse. Comment expliquer ces animaux de  la savane qui apparaissent et provoquent des accidents de la route ? Comment expliquer ces soldats romains entraperçus du coin de l’œil et qui disparaissent quand on veut mieux les observer? Le monde se délite, des brèches temporelles s'ouvrent et se referment à un rythme de plus en plus rapide, précipitant le monde vers le précipice.
Et si ces nouvelles dimensions du temps expliquaient la présence des mégalodons au XXIème siècle ?

On ne s'ennuie jamais dans Fin de Siècle, on n'a pas le temps pour cela.  Sous une apparence de joyeux bazar, tout s'imbrique et rend le contenu pertinent. L'humour noir de Sébastien Gendron fait le reste. A coups de situations hors du commun, l'auteur pointe du doigt les déviances de la société actuelle. Il faut que ce soit un danger sorti du fond des âges pour que l'humanité recommence à se poser les bonnes questions.
Par son énergie créative, son humour et son intelligence, Fin de Siècle est un vrai bon roman à découvrir.


Ed. Gallimard, Collection La Noire, mars 2020, 240 pages,19€