Hasna est veuve depuis peu. Elle a perdu son emploi et est contrainte d'accepter ce que lui préconise sa conseillère en réinsertion, à savoir de la chirurgie esthétique, si elle veut toucher ses indemnités de chômage.
"Tu détournes aussitôt les yeux pour ne pas céder à la panique et te concentres sur les raisons de ta présence ici : l'opération que tu viens de subir et que Pôle Emploi prend en charge".Quand elle sort de l'hôpital, s'opère en elle une étrange résistance. Elle ne se regarde plus dans la glace, mais surtout elle n'arrive plus à distinguer les visages de ceux qu'elle croise. Le flou s'installe puis d’étranges figures mouvantes. N'est-elle pas elle-même la figure monstrueuse de quelqu'un ?
Hasna s'enferme chez elle. Son chat prend de plus en plus de place. Il grossit au fur et à mesure qu'elle sombre dans la folie. Elle n'arrive pas à retrouver son identité depuis que le bistouri a tout remodelé. Qui est-elle vraiment ?
"Le respect, c'est la clé. Respectez-vous vous-même".Celle que la société veut bien accepter, transformée, ou la Hasna, veuve, la quarantaine ?
"Le tissu recouvrant le miroir est tombé. Tu t'en aperçois trop tard. Explosion. Un photomaton dans chaque œil, ton visage phosphore simulacre dans la glace, parodie de portrait, lèvres qui s'anguillent dans l'exagération, cernes piscines qui débordent, la peau s'ourlant outrancière".Elle ne se reconnaît pas dans les normes mises en place basées essentiellement sur le paraître et l'image. Plus elle subit des interventions chirurgicales, plus sa raison se détraque.
"Tu es corruption jusqu'au dedans de toi-même, cela te ravit. Tu jouis de la régence illégitime de tes organes tuméfiés sur ton pauvre regard. Tu as l'impression de ne faire qu'un avec la vie".
Ecrit au vocatif, Cosmétique du chaos pointe du doigt les dérives de la technologie du regard et de la surveillance de masse. On ose à peine croire qu'il s'agit d'un roman d'anticipation, tant il fait écho à certaines dérives de notre société actuelle.
Hasna est une victime désignée de cet arbitraire du paraître ; sa folie rampante devient finalement une bulle de raison dans un monde de fous.
Le récit d'Espedite interpelle car la dictature du paraître qu'il décrit touche essentiellement les femmes, premières victimes de la norme et du "monde des corps".
tranchant comme un scalpel, l'écriture de l'auteur pose de vrais questions sociétales en révélant l'intimité d'un être emporté dans une expérience dont elle renie les codes. Finalement, nous sommes toutes des Hasna potentielles.
Et si la vraie vie était celle d'avant, sans les réseaux sociaux et autres technologies du paraître ?
Ed. Actes Sud, février 2020, 112 pages, 12€