Déjà la famille Turner n'est pas une famille comme les autres. Le couple, imbibé de littérature fantastique, a décidé de gagner leur vie en construisant une maison hantée. La première fut inaugurée dans le jardin familial, construite selon les plans du père alors atteint d'une tumeur au cerveau. Après sa mort, la veuve et les trois enfants décidèrent d'en créer une autre plus grande métaphoriquement nommée "Promenade au cœur de ténèbres".
On ne fait pas fortune en gérant une maison hantée et en plus de cela, il faut gérer la dépression chronique de la sœur Eunice, et la disparition brutale de l'aînée, volatilisée ! Du coup, le narrateur, petit dernier de la fratrie, semble bien équilibré comparé au reste des siens. Sauf que....
...Sauf que son Ami qui vient lui rendre visite depuis tout petit - genre de Sullivan dans Monstres et Compagnie - a pris désormais l'apparence d'une superbe rousse qui l'emmène dans sa chaumière perdue au fond des bois pour lui faire son éducation sexuelle. C'est la première faille de ce récit au départ bien prometteur.
Le jeune Noah Turner sent bien que sa relation
amoureuse n'est pas "normale" tout comme le lieu où vit sa maîtresse, endroit enchanteur au bord d'une Cité dévastée qui ressemble beaucoup à celle décrite par Lovecraft :
"La végétation cédait la place à un vaste réseau d'immeubles et de rues, un ensemble de béton, de verre et de pierre noire luisante qui s'étendait sur des kilomètres". (...) "Au centre se dressait une colonne de pierre noire cyclopéenne si haute qu'elle s'enfonçait dans la purée de pois des nuages".Pas sûre que le lecteur ait envie d'y croire. On avance péniblement dans l'intrigue car il ne se passe pas grand chose hormis les secrets, les regrets, les disputes au sein de la famille Turner. On attend le basculement, le page turner (et ce n'est pas un jeu de mot) qui va nous faire frémir et nous faire entrer finalement dans la Cosmologie de monstres.... en vain.
"Même postulat de base que la religion - le monde n'est pas le monde-, mais détourné (...) le "monde réel" des humains n'était qu'un voile fragile qui ne demandait qu'à être soulevé pour révéler un abîme d'épouvante."
Et pourtant, dire que ce roman est mauvais serait un épouvantable raccourci. Shaun Hamill décrit avec finesse la nature humaine avec ses forces, ses faiblesses, ses travers et ses désirs avortés. A travers cela, le titre prend une toute autre dimension. On peut se demander si nous ne sommes pas le monstre (imagée) de quelqu'un. La dimension fantastique du roman devient secondaire. Elle incarne le voile fragile qu'est censé être le monde réel.
Noah Turner, véritable pilier du livre rassemble les deux mondes - le réel et le fantasmé - pour n'en faire plus qu'un - le fictionnel - qui réunit ce qu'il a accumulé dans sa vie et dans les livres.
Dès lors, Une Cosmologie des monstres est davantage l'histoire d'une famille plutôt que celle de la plongée dans un genre bien défini, et pour cette raison, il mérite d'être lu.
Ed. Albin Michel, Collection Imaginaire, traduit de l'anglais (USA) par Benoit Domis, 416 pages, 24€
Titre original : A cosmology of monsters