Dès les premières pages, je me suis dit que Samira Sedira s'était librement inspirée de l'affaire Flactif, une famille tuée par un voisin rongé par la jalousie, dans leur chalet du Grand Bornand. Mais la comparaison s'arrête là. Nous avons le début d'un fil conducteur puis l'histoire nous emmène autre part, même si les conséquences affreuses sont semblables : un couple et trois enfants tués de manière atroce.
La narratrice est la compagne du meurtrier. Elle incarne la culpabilité de celle qui n'a rien vu venir. Car force est de constater que personne n'aurait pu anticiper le drame. Constant, un meurtrier ? Pas possible !
"Le premier mois, j'ai pleuré sans pouvoir m'arrêter. Longtemps, j'ai essayé de comprendre ce qui s'était passé. Encore aujourd'hui, il arrive que je reprenne l'histoire du début à la fin, en essayant de n'oublier aucun détail".
Lorsque les Langlois s'installent dans leur immense chalet en face de chez Constant et Anna, c'est l'occasion pour les piliers de bar du village de se donner à cœur joie aux ragots, d'autant plus que Bakary Langlois est noir. Chacun s'accorde à dire que les Langlois sont sympathiques, ils invitent même du monde à leur pendaison de crémaillère. Ces mêmes personnes sont à la fois subjuguées et dérangées par l'étalage de leur richesse. Quand même, ça ne se fait pas et en plus il est noir ! se disent-ils entre eux, une fois les portes des maisons fermées. Racisme ordinaire d'un village où forcément ce qui est "différent" est potentiellement dangereux.... Voitures de luxe, gros train de vie, et puis cette impression constante que l'argent n'est pas un problème.
Anna et Constant deviennent des familiers des Langlois. Anna travaille même pour eux un temps comme femme de ménage. Le chalet est si grand que la journée ne suffit pas à tout nettoyer ! Elle sent bien chez son compagnon une certaine forme de jalousie qu'elle ne lui soupçonnait pas avant, mais elle met cela sur le compte de l'orgueil masculin.
" En réalité, plus tu le côtoyais, plus il était insaisissable. Il était à la fois une chose et son contraire (...) Ce mec-là, tu disais, c'est le contraire du big bang".Quand Bakary Langlois propose à ses amis de placer pour eux leurs économies en Suisse , plusieurs sautent le pas. Constant ne voulant pas être en reste, accepte aussi. Or, le jour où il veut récupérer son capital tout se complique. Quand il est question d'argent, l'amitié ne compte plus...
Ce qui est intéressant dans ce roman c'est l'analyse complexe des sentiments en jeu et le mécanisme complexe d'une psyché rongée par l'envie. Comment fascination et colère se mélangent pour transformer un homme en monstre . Car Constant n'a pas à priori le profil de celui qui va tuer de sang froid trois enfants et deux adultes. Le basculement c'est la plongée dans une folie incoercible et dévastatrice. Nous sommes notre pire ennemi ; chacun porte en soi une part d'ombre qui attend, tapie, le moment de se révéler en pleine lumière. Même la justice des hommes, lors du procès, cherchera, en vain, un début d'explication.
Des Gens comme eux interpelle. Samira Sadira a pris le soin de rester neutre pour tenter d'expliquer ce qui est inexplicable et impardonnable.
Découvrir un autre roman de Samira Sedira, c'est par ici :
Ed. Le Rouergue, collection La Brune, janvier 2020, 144 pages, 16.50 €