jeudi 10 octobre 2019

On dirait que je suis morte, Jen Beagin

Mona s'attache vite aux gens et aux choses - elle est dingue de son aspirateur - tout en pensant que ceux qui l'entourent sont décidément aussi dingues qu'elle.


Mona aurait pu être l'héroïne d'une série télé dans la même veine que Chameless, ou alors la version plus jeune de la Mona dans Madame est servie (Who's the boss ?) série phare des années 90, tant sa personnalité sort du lot à cause de son tempérament border line maîtrisé.


"Les mains vides à la merci des autres, l'orpheline pathétique d'un roman pour enfants".
Mona s'en sort dans la vie malgré des parents défaillants. C'est sa tante qui l'a prise sous son aile en l'employant comme femme de ménage dans sa petite entreprise de nettoyage. Ça tombe bien, Mona adore les aspirateurs et adore aussi fureter chez les inconnus. Dis moi ce que tu caches et je te dirai qui tu es vraiment, telle est un peu sa devise même si elle a une certaine propension à se monter des films...

Justement, le thème récurrent de sa courte vie est sa longue relation avec l'erreur de jugement. Déjà avec Mr Dégoûtant, elle a cru pouvoir construire ce qui ressemblait le plus à une relation amoureuse, mais pour cela elle a occulté le reste : mensonges, drogues, proxénétisme. Depuis, elle a pris le large et tente de se construire une nouvelle vie dans un trou paumé près du désert. Néanmoins, ses vieux démons réapparaissent : Mona ne peut s'empêcher de farfouiller chez ses clients pour leur construire une identité, et par là se rassurer que les autres sont aussi étranges qu'elle.

Ce talent de scénariste, elle le doit aussi - un peu - à son père Mickey à qui elle téléphone pour combler son sentiment de solitude. Or, à ce jeu du chat et de la souris téléphonique, elle est la grande perdante car elle rouvre des plaies du passée mal cicatrisées. Même son confident Bob - Dieu lui-même - ne réussit pas à lui enlever son mal-être. Mona ne va pas bien et elle le sait.
"A nouveau seule, elle mesura la profondeur de son manque. C'était un grand vide qui s'élargissait en elle, un trou noir. Épuisée, elle se résigna à ce que celui-ci l'aspire et la fasse patauger dans ce bourbier pendant plusieurs heures".
Tout cela lui fait repenser à un jeu de gamine qu'elle pratiquait jadis dans la piscine : On dirait que je suis morte. Il consistait à faire croire à son père qu'elle se noyait pour attirer son attention. Avec le recul, Mona voit non seulement le vide qui remplit la vie de ses clients, mais elle voit aussi qu'elle s'y noie pour exister...

On dirait que je suis morte est un tourbillon narratif rempli de personnages hauts en couleurs et doté d'un humour caustique. Jen Beagin fait de son héroïne une jeune femme à la fois déjantée et fragile, petit animal blessé qui recherche avec ses propres moyens un peu de stabilité. On sourit souvent grâce à des répliques chocs et des rencontres saisissantes comme Betty, Yoko et Yoko ou encore Jésus.
Ce roman est une belle rencontre littéraire et un beau moment de lecture. Merci Céline !

Ed. Buchet Chastel, janvier 2019, traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy, 275 pages, 20€
Titre original :