jeudi 24 octobre 2019

Miss Islande, Audur Ava Olafsdottir

"J'attrape la machine à écrire sous le lit, j'ouvre la porte de la cuisine, je pose la machine sur la table et je place une feuille sur le cylindre. C'est moi qui ai la baguette de chef d'orchestre. J'ai le pouvoir d'allumer une étoile sur le noir de la voûte céleste. Et celui de l'éteindre.Le monde est mon invention".
Pour Hekla, cette jeune fille au prénom de volcan, partir à la capitale était une évidence, l'action concrète qui inaugure son émancipation. Là, elle pourra écrire, tenter de se faire publier, mais surtout rejoindre son amie d'enfance Isey, mariée et jeune maman ainsi que son meilleur ami Jon John, marin malgré lui qui rêve de couture.

Hekla écrit, elle a même eu des poèmes et des nouvelles publiées sous pseudonyme. En 1963, l'Islande est un jeune pays indépendant où le régime patriarcat reste une évidence. Être une femme écrivain, indépendante et libre est une route semée d'embûches. Le fantôme de sa défunte mère a expliqué au frère :
"elle a dit que certaines personnes s'engendrent elle-même. Comme toi. (...) qu'il fallait porter en soi un chaos... pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse..."
Hekla, pour devenir cette étoile, ne doit dépendre de personne. Elle ne voudrait pas de la vie d'Isey, fatiguée par une seconde grossesse et qui se cache de son mari pour pouvoir écrire sur son carnet. Elle ne veut pas dépendre non plus de son amoureux du moment Starkadur, jeune poète en panne d'inspiration, loin d'imaginer que sa compagne est poétesse et romancière. 
"Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l'idée d'être un poète médiocre".
Finalement, seul son ami de toujours Jon John sait qui elle est vraiment. Lui aussi a un secret : il est homosexuel. Fatigué des brimades en mer, avide de se révéler à l'étranger comme styliste et désireux de vivre ses amours en plein jour, il part au Danemark. Hekla pourra le rejoindre quand elle le décidera...
"Tu sais, Hekla (...) tu es un rocher imprenable, un buisson de ronces"...
lui répète Starkadur tant il a du mal à cerner son amoureuse. Grande, belle et élancée, on lui propose plusieurs fois de participer au concours de Miss Islande. Mais Hekla rêve d'écriture, et, "fille de volcan et de l'océan Arctique", elle rêve de feu et de lumière. Être publiée et reconnue, pourquoi pas ?
"Un poète doit vivre dans l'ombre et faire l'expérience des ténèbres. Avec toi, on manque de ténèbres. Tu es la lumière".
Alors Hekla décide de rejoindre Jon John pour entamer la prochaine étape de son existence : se consacrer à l'écriture, comme Simone de Beauvoir, son autrice de chevet, l'a fait avant elle.
"En Islande, il est un mot pour chaque pensée qui vient au monde".
Dans sa langue natale, Hekla fait corps avec les mots et, en compagnie de Jon John, elle va accomplir sa destinée.

On retrouve l'écriture douce de Audur Ava Olafsdottir. Miss Islande est construit en chapitres courts et titrés qui donnent le ton général du roman. Hekla avance coûte que coûte malgré les barrières dues à son sexe et au conformisme de l'époque. Encore une fois, l'autrice brosse le portrait d'un personnage attachant et à la fois insaisissable, un véritable personnage romanesque comme on aime les rencontrer en littérature.




Ed. Zulma, septembre 2019, traduit de l'islandais par Eric Boury, 261 pages, 20.50€
Titre original : Ungfru Island