jeudi 5 septembre 2019

Les Choses humaines, Karine Tuil

Roman terriblement efficace sur l'analyse du pouvoir, Les Choses Humaines plonge le lecteur dans le monde politico-médiatique français où sexe, mensonge et chantage ne sont jamais loin...



Jean Farel est LE journaliste politique de la télévision française et malgré ses soixante-dix ans il compte bien le rester encore quelques années. 
"A son âge, malgré les audiences correctes, il entrait dans la zone de turbulences et s'accrochait désespérément à un siège convoité et éjectable".
Parti de rien, il est devenu un homme d'influence à l'aune de sa renommée. Avec son épouse Claire, essayiste et journaliste plus jeune que lui, il est le parent d'Alexandre devenu un jeune homme promis à un bel avenir d'ingénieur lorsqu'il aura validé son diplôme à l'université de Stanford.
Mais tout cela c'est du paraître, de la façade. Derrière le mur, Jean est un dictateur en puissance qui craint plus que tout la chute médiatique. Son épouse l'a quittée pour vivre une passion charnelle avec un professeur juif et sa maîtresse Françoise, avec le temps, devient de plus en plus exigeante. 
"Le sexe et la tentation du saccage, le sexe et son impulsion sauvage, tyrannique, incoercible. Claire y avait cédé comme les autres, renversant quasiment sur un coup de tête, dans un élan irrésistible, tout ce qu'elle avait pratiquement construit - une famille, une stabilité émotionnelle, un ancrage durable - pour un homme de son âge".
Heureusement Alexandre doit rentrer des Etats-Unis pour assister à la remise de la légion d'honneur de son père, et le voir, même s'il a conscience qu'il n'a pas toujours été un père à la hauteur, lui permet de s'affirmer dans son rôle d'homme à qui tout réussit.
 "Fort avec les faibles, faible avec les puissants" est ce qui décrit le mieux le personnage. Seulement la relation de Claire s'inscrit dans la durée et le patron de la chaîne cherche à l'évincer. Le mépris d'autrui a envahi Jean. Malgré quelques signes il n'a pas bien compris la souffrance de son fils. Quand ce dernier est accusé de viol par Mila, la fille du concubin de Claire, Jean cherche d'abord à se protéger car sa plus grande épouvante est la disqualification sociale...

A tout moment votre vie bien tranquille que vous contrôlez si bien peut basculer. Les Choses humaines est le roman de ce basculement et les conséquences sur chacun des protagonistes. Karine Tuil analyse les faits puis les place dans un contexte médiatique. Le succès est à deux tranchants : il vous porte mais peut aussi bien aussi vous détruire. Jean Farel a construit sa vie sur un château de sable. Il paye au prix fort ce qu'il a mis de côté dans son rôle de père pour mieux construire son personnage médiatique. L'enfance et la réussite d'Alexandre ont servi à la renommée du père et qu'importe si le gamin en a souffert. Quant à Claire, elle se prend de plein fouet ses carences éducatives et son absence récurrente.

Les Choses humaines est le roman de l'égoïsme. Elle explique les pires travers de la nature humaine et les formes de tyrannie qui peuvent exister au sein d'une même famille qualifiée d'idéale aux yeux des gens. Les faits, l'instruction puis le procès seront révélateurs.
"La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime" écrivait Victor Hugo dans L'Homme qui rit.
C'est aussi une vaste mascarade quand on a décidé d'en faire un spectacle. Il est temps de se tourner vers l'essentiel comme l'expliquait le patron d'Apple, Steve Jobs :
"La mort est très probablement la meilleure invention de la vie. C'est l'agent du changement dans la vie. Elle efface l'ancien pour faire place au nouveau. Actuellement vous êtes le nouveau, mais un jour pas très éloigné, vous allez devenir très progressivement l'ancien et être balayé [...] Votre temps est limité, alors ne le gaspillez pas en vivant la vie de quelqu'un d'autre". 
Karine Tuil signe ici un livre passionnant de bout en bout, bien ancré dans notre société actuelle qui sera, à coup sûr, l'un des romans de la rentrée littéraire dont on se souviendra.


Ed. Gallimard, collection La Blanche, août 2019, 352 pages, 21€