vendredi 30 août 2019

Floride, Lauren Groff

Les paysages de cartes postales de la Floride cachent un monde bien plus inquiétant qu'il n'y paraît. Ce petit coin de paradis est une véritable antichambre de l'Enfer pour celle ou celui qui s'y pose et prend le temps d'observer ce qui se passe .


La Floride de Lauren Groff est éloignée des plages, des gratte-ciels flamboyants qu'on peut apercevoir dans les séries policières et qui semblent prendre feu au coucher du soleil, ou encore des parcs d'attraction énormes jetant à la face du monde un capitalisme vainqueur. Non, la Floride de l'auteur des Furies (L'Olivier, 2017) est plus tourmentée, plus intime. Les everglades infestés de crocodiles et de serpents n'ont rien à envier aux forêts luxuriantes enfermant quelques cabanes isolées. Et si on se rapproche de la civilisation, il suffit de se promener la nuit pour que les maisons se transforment en aquariums géants dans lesquels tournent en vain des habitants cherchant à donner du sens à leur vie.

Justement, si on pointe une loupe d'entomologiste sur ces "floridiens" force est de constater que le vide et la solitude sont omniprésents. Certains choisissent la fuite et la marginalité comme la jeune femme dans Au-dessus et au-dessous, en renonçant même au désir, tout en restant reliée au monde fantasmé grâce à la littérature.
"Adieu les montagnes de dettes dont elle a essayé péniblement de s'extraire. Adieu à l'avis d'expulsion orange. Adieu au désir. Désormais, elle sera vide car elle a choisi de perdre".
D'autres préfèrent accueillir les fantômes de leur vie, un soir dans l'Oeil du cyclone. Parfois, les spectres sont plus présents que les vivants. Il suffit que la nature se déchaîne pour que le vide se remplisse de quelque chose d'un peu moins douloureux à supporter.
"Puis le vent a frappé ma maison. Allez, vas-y! je lui ai crié. A moins que ce ne soit encore une de ces choses que j'ai seulement murmurées au cours de ma vie absurde". 
 "Nos maisons nous contiennent ; qui peut dire ce que nous contenons, nous"?
Dans Espaces vides et fantômes, les fenêtres des gens, la nuit, sont comparables à des aquariums. A l'extérieur, les ombres grandissent comme grandissent nos angoisses lorsqu'on cherche le sommeil, en vain. En Floride, la nature luxuriante ne protège pas les hommes. Elle est sourde, menaçante, renvoie chacun a ce qu'il a de plus intime. Et le gouffre peut devenir vertigineux.
"Elle a peur d'être devenue si nébuleuse pour son mari qu'il voie à présent à travers elle ; elle a peur de ce qu'il aperçoit de l'autre côté". 
Femmes, hommes, même les enfants ne sont pas épargnés. Soit ils survivent comme ils peuvent sur une île en attendant leurs hypothétiques parents, soit ils sont le lien pour ne pas sombrer après un traumatisme crânien, soit, comme le jeune Jude, "Il commençait à comprendre que le monde fonctionnait selon des manières qui lui échappaient, qu'il pouvait saisir quelques fils seulement de l'étoffe universelle". (Dans les coins imaginaires de la Terre, qui est ronde)

Et pourtant, la prose de Lauren Groff est tranquille voire hypnotique alors qu'elle décrit un monde quasi chaotique dans lequel le vent est "rauque, inhumain". Même Paris, autrefois vitrine du refuge climatique espéré, tempéré et continu, se transforme en une Floride européenne.
"Elle est déconcertée de découvrir que Paris est devenue en quelque sorte floridien, avec toute cette humidité, ces stucs roses et la cellulite qui dépasse des shorts".
Ainsi, les onze nouvelles du recueil montrent à quel point il n'est pas bon de rester seul avec sa conscience pour complice. La Floride est l'incarnation de tout ce qui peut nous menacer.
"Quand on reste longtemps seul, on peuple le vide de fantômes. Voilà à peu près ce que dit Guy dans Le Horla". (Yport)

Ed. de L'Olivier, mai 2019, traduit de l'anglais (USA) par Carine Chichereau, 304 pages, 22.50€
Recueil de nouvelles
Titre original : Florida