jeudi 6 juin 2019

La Cage, Lloyd Jones

Des deux étrangers, les villageois ne savent rien. Pas d'identité, pas de passé, pas d'argent. Les gérants de l'hôtel les accueillent puis, insidieusement, l'hospitalité va laisser place à la méfiance et à la peur de l'autre.


Sans s'en rendre compte vraiment, les deux étrangers se retrouvent enfermés dans une cage située dans la cour de l'hôtel. Ils sont nourris par le personnel et s'ils veulent que leur conditions de "vie" s'améliorent ils doivent répondre aux questions que se pose le Conseil d'administration.
« Quand je regarde les étrangers du haut de la fenêtre. Je n’ai pas du tout l’impression que nous partageons le même monde. Les murs de pierre de leur enclos appartiennent à un ailleurs. L’enclos se trouve dans la cour, mais il ne fait pas partie de la cour ».
Les administrés ont peur depuis qu'ils ont eu vent que, dans d'autres pays, la guerre fait rage et se rapproche inexorablement. 
« Nous savons qu’il est arrivé quelque chose. Une chose si atroce qu’ils ne peuvent pas – ou ne veulent pas – la décrire. Une chose importante, épouvantable. Nous nous réveillons à toute heure de la nuit en pensant que le désastre qui a fait fuir les étrangers s’apprête à s’abattre sur nous ».
Seulement, les deux nouveaux venus sont incapables d'exprimer clairement d'où ils viennent et surtout où ils se rendent, comme si leur passé s'était effacé de leur mémoire.
« Il étaient manifestement en route pour quelque part. Mais pour quelle destination ? Ils sont incapables de le dire. Ils parlent d’un lieu qui semble tout droit sorti d’un livres de contes : une cheminée, une flambée dans l’âtre, des enfants qui jouent, de la nourriture en abondance.
Nous ne savons que penser d’eux. Ils nous ressemblent et, comme nous pouvons le constater, ils manifestent tous les désirs et appétits classiques ».
Viktor, le neveu du gérant de l'hôtel est tiraillé entre son besoin de se sentir accepter par ceux qui l'ont recueilli et par son empathie envers les détenus. Lui aussi ses souvenirs s'estompent. Le temps de la ferme avec ses parents devient un vague souvenir. A force, il se demande si le traitement infligé aux étrangers n'est pas tout bonnement inhumain.
« La destruction de la cage symboliserait la pire des transactions : la liberté des étrangers contre notre chance d’avoir des renseignements sur une éventuelle fin du monde. En d’autres termes, le Conseil d’administration avait choisi d’investir dans l’expérience des étrangers ».
Les administrateurs se voilent la face. Ils considèrent ce qu'ils font comme une expérience et expriment bizarrement le souhait que les locataires de la cage soient heureux. Ces derniers, au fil du temps, acceptent de moins en moins bien le fardeau de la prison. Leur état de santé se détériore et la visite régulière de clients de l'hôtel venus spécialement les voir, les avilissent irrémédiablement.
« Au zoo nous ne voyons que nos différences. Ce qui n’est pas le cas avec les étrangers. Les visiteurs voient leur image – tels qu’ils l’imaginent – après un désastre. Mais que s’est-il passé ? C’est ce que tout le monde veut savoir. Ainsi que les mesures à prendre pour éviter que ça se reproduise. »
« On ne peut jamais anticiper la fin et elle survient de mille façons surprenantes ».
La Cage est un roman étrange qui résonne avec notre actualité. La peur de l'autre, les poids des rumeurs altèrent le comportement des plus paisibles d'entre nous. La mécanique de l'enfermement, au départ conçue pour rassurer une population, va prendre une tournure inquiétante dès lors que les prisonniers étrangers seront de moins en moins considérés comme des êtres humains.
Une partie du monde vient de s'effondrer sans qu'on sache vraiment pourquoi. Que deviendront les survivants s'ils ne sont pas accueilis comme il se doit par ceux qui vivent en paix?
On est loin du ton de Mister Pip, autre roman de l'auteur. Le récit, qui ressemble souvent à un conte, dénonce les bassesses de l'âme humaine quand elle est confrontée à ce qu'elle ne connaît pas.

 Ed. Jacqueline Chambon, mai 2019, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol, 312 pages, 22.50€