Dans ces deux nouvelles, Banana Yoshimoto interroge le temps qui passe, les liens du sang, du cœur et notre rapport aux croyances surnaturelles.
Chacune des héroïnes se situe à un tournant important de leur vie. Tandis que l'une teste la solitude en partant randonner seule en montagne, l'autre est sur le point de perdre sa sœur victime d'une hémorragie cérébrale. A chaque fois, la narration étire le temps si bien qu'on a l'impression que ce dernier s'étiole pour ne plus devenir qu'un moment suspendu. Même les protagonistes ont cette sensation étrange.
"Le temps s'étire et se resserre. Quand il s'étire à la manière d'un élastique, il vous emprisonne à jamais dans son étreinte. Et il ne vous lâche pas si facilement. Parfois il vous abandonne dans les ténèbres où vous ne faites que tourner en rond, et vous avez beau vous arrêter et fermer les yeux, pas une seconde ne s'écoule".Dès lors, le passé reprend des couleurs. les souvenirs affluent, s'imposent parfois au point de se télescoper avec le moment présent. Ce télescopage peut prendre la forme d'un fantôme, de voix ou encore de rêves aux étranges aux accents de la réalité.
"J'ai fait un rêve qui avait le relief de la réalité.Mais s'agissait-il d'un rêve, ou d'une simple réminiscence ? En tout cas j'avais l'impression d'avoir vécu cela dans le passé".La réalité n'est plus un refuge ; elle devient un obstacle à affronter. Elle incarne l'adversité dont on ne peut pas se détourner : une solitude qui cache un amour éteint, des souvenirs qui rappellent la mort prochaine d'une sœur aimée. La mort n'est jamais loin et impose qu'on y réfléchisse afin de mieux l'appréhender. Et à force d'en faire un point de réflexion, les moments simples de la vie deviennent des instants de bonheur et la nature environnante un lieu où se ressourcer.
"Or, plus on s'enfonçait dans l'insupportable, plus ce temps privilégié se dégradait.Voilà pourquoi les instants de beauté qui naissaient dans les interstices du temps me semblaient de véritables miracles. Là s'effaçaient l'insupportable et les larmes, là je discernais de nouveau la grandeur de l'univers en mouvement : instants fugitifs où je percevais l'âme de ma sœur".Cette auteure japonaise est une découverte. On y retrouve un rapport au mystique qui n'existe pas dans la littérature occidentale et une manière apaisante d'appréhender le temps qui passe. Le récit prend des pauses, s'arrête sur des détails, s'étire, et finalement invite le lecteur à se poser et à profiter du moment de lecture.
Ed. Rivages Collection Poches, traduit du japonais par Dominique Palmé et Kyôko Satô, 128 pages, 10.15€
Titres des nouvelles : Hard Boiled, Hard luck