A Margoujols, petit village isolé de Lozère, on se serait bien passé du meurtre de Joseph Zimm, alias l'homme-homard, d'autant plus que l'enquête va être compliquée puisque tous les villageois le détestaient...
En 1945, Margoujols a vu sa population augmenterd'un seul coup quand les artistes d'un cirque itinérant proposant un freak show ont décidé de poser leurs bagages définitivement. Cela fait soixante-dix ans maintenant et les sœurs siamoises, femme à barbe, nain, colosse et leurs rejetons font partie du décor local. Seul l'homme-homard, Joseph Zimm, vivait à l'écart à cause de son tempérament houleux.
"Précisions néanmoins que Joseph était moins rejeté pour sa difformité que parce qu'il était raciste, misogyne, homophobe, pervers et supporter du PSG".
La découverte de son corps n'émeut personne mais les conditions dans lesquelles il a été tué attise la curiosité de tous. Chacun y va de son point de vue, de sa manière d'enquêter, de son expérience tirée d'heures passées devant les séries policières. Car Margoujols a beau être un village isolé, il est connecté ! Heureusement, la gendarmerie a dépêché l'adjudant Pascalini, affublé de son stagiaire Babiloune. Pour les aider à s'y retrouver, la fille du maire les épaule. Julie adore les enquêtes. Elle a beaucoup à raconter sur les habitants et leurs sales manies. Elle passe son temps à les observer sans qu'ils s'en rendent compte. Facile, puisqu'elle est tétraplégique et que personne ne fait attention à elle.Elle communique via un ordinateur comme le faisait Stephen Hawking avec son unique majeure valide (ça ne s'invente pas)
Le meurtre de Joseph tombe à pic. Elle va enfin pouvoir écrire un polar !
"Je dresse mon majeur pour montrer mon enthousiasme. Pascalini fait une mine impayable en comprenant qu'il va se coltiner la gisante à roulettes".
Ainsi Julie est la narratrice de ce roman. Tour à tour drôle, cynique et terriblement perspicace, elle n'épargne personne, même les handicapés. Quand tout le monde vous prend pour un légume, il faut avoir du tempérament et une bonne dose de recul.
Nos trois enquêteurs vont de surprise en surprise. Ils remontent la piste freak show et déterrent les vieilles rancœurs et les secrets du village. A Margoujols, la bête du Gévaudan a fait son temps. Désormais, c'est un autre monstre qui sévit puisqu'un second et un troisième meurtre surviennent dans la foulée. Les têtes tombent (au sens propre) et Julie en vient même à soupçonner les siens, le tout avec une pointe de sarcasme....
"Si mon père était un superhéros, ce serait Mister Freeze, dernier espoir de l'humanité contre le réchauffement climatique. Papa possède le pouvoir de faire baisser la température d'une pièce, de refroidir les ardeurs, de glacer le sang, de frigorifier son prochain".Et si le meurtrier était celui qu'on pense insoupçonnable ?
Découvert par hasard, ce polar est complètement décalé par le ton du récit et l'humour de la narratrice, "handidétective"esprit brillant et cynique coincé dans un corps inerte, avec "un coté céphalopode farceur". Tous les travers de notre société y passent : les secrets, les a priori sur le handicap, les médias, les migrants, les villageois en apparence normaux mais carrément névrosés... Personne n'est épargné. Julie est une narratrice lucide et son handicap lui donne la liberté de ton. Elle nous raconte l'enquête comme si elle écrivait son roman.
"Tant que c'est le monstre qu'on assassine, le bon citoyen se sent en sécurité. Au fond, l'anormal l'a bien cherché, à toujours faire le malin avec ses difformités. En revanche, quand on commence à trucider les honnêtes contribuables, le frisson de l'angoisse devient nettement moins délicieux".Dans Qui a tué l'homme-homard ? on se rend compte que les monstres ne sont pas forcément ceux qu'on croit. La narration ne faiblit jamais pour le plus grand plaisir du lecteur. L'intrigue tient bien la route et l'enquête garde son suspens jusqu'au bout.
"Les membres du cirque Britiescu vont bientôt disparaître, mais la tradition des monstres de Margoujols ne s'éteindra pas avec eux.
Grâce à moi".Ainsi, J.M Erre maîtrise la langue avec brio et propose un roman entraînant ou vous vous surprendrez plus d'une fois en train de rire.
Ed. Buchet-Chastel, février 2019, 3598 pages, 19€