lundi 18 mars 2019

Le Mangeur de livres, Stéphane Malandrin

Pour ne pas mourir de faim alors qu'il est enfermé dans une crypte avec son ami, le jeune Adar mange les pages d'un codex. Ce drôle de repas lui a-t-il réellement sauvé la vie ?


"J'ai mangé un livre et il a fait un trou noir au centre de mon être".
Depuis ce geste de survie, Adar est obsédé par les livres. Le codex qui l'a sauvé était empoisonné par l'anobium pertinax, une larve que le vers des bois dépose dans les livres. Son sang a pris goût à la bactérie et en réclame...

Nous sommes en 1488 au Portugal. L'imprimerie vient de naître mais les moines assurent encore en grande partie la copie des ouvrages. De fait Adar et son ami Faustino savent où trouver la substantifique moelle, chacun se répartissant le butin : à l'un les pages découpées en lamelles, à l'autres les pierres précieuses qui décorent les couvertures.
"Je suis comme Jean de Patmos et Ezechiel, je mange des livres qui sont amers à mes entrailles et pourtant non, je ne suis pas un prophète, je n'ai pas vu d'ange un pied sur la terre et l'autre sur la mer, et Dieu ne me parle pas".
Dieu ne lui parle pas, mais la rumeur enfle que Satan se cache dans les rues de Lisbonne. Le fait divers est pour le moins étrange puisqu'on s'en prend aux livres, on les trucide avant de les abandonner complètement défaits.  Derrière tout cela, le jeune adolescent se transforme. il devient lourd, gras, véritable créature monstrueuse.
"C'est une vague, faible, lente, qui s'étire sur le rivage jusqu'à vos pieds, mais qui trempent vos chevilles, noie vos mollets, s'avère profonde et dense, et se retire en tirant vers le lointain ce qui restait de vous-même".
Il devient complètement dépendant des pages qu'il avale, et chose étonnante, il pense qu'il s'imprègne de leur contenu.
"Lorsque vous avez dans la bouche un codex de haute graisse, que vous lui brisez l'os et le sucez jusqu'à la substantifique moelle, alors la matière libère cet incomparable nectar qu'elle garde dans les plis de ses formes et qui exprime la mémoire des transformations qu'on lui a fait subir".

"les livres sont vivants, ils se combinent à l'intérieur de votre corps et laissent exploser leurs mélodies en bulles invisibles qui chantent vos papilles".
Dès lors, Adar se confond avec ce qu'il avale, au grand désarroi de son ami Faustino qui ne le reconnaît plus. 
"Je suis devenu le livre et le livre est devenu moi".
On pourrait considérer que Le Mangeur de livres est une vaste métaphore sur le livre comme seule nourriture spirituelle valable, mais ce serait rétrécir l'ambition de ce premier roman dont l'auteur s'est largement nourri des lectures de Rabelais dans les excès et l'atmosphère qu'il décrit.
A force de vouloir être érudite, la lecture est parfois fastidieuse et redondante. Stéphane Malandrin connaît beaucoup de choses et veut les partager. C'est ce qu'il fait dans le dernier tiers du roman où il revient aux débuts de l'intrigue pour mieux préciser certains passages...
Adar tourne en rond et subit son étrange maladie sans essayer de la vaincre ou tout au moins la combattre. C'est dommage, cela aurait mis du grain à moudre dans le romanesque.
Le Mangeur de livres est un premier roman qui ravira les passionnés du quinzième siècle ou de Rabelais, avec une idée de départ assez originale mais qui se noie dans la volonté obstinée de vouloir trop tout expliquer.

Ed. du Seuil, janvier 2019, 192 pages, 17 €