A travers l'histoire de Josie qui fuit sa vie en Alaska en compagnie de ses enfants, Dave Eggers raconte ces héros anonymes qui ont choisi de renoncer à leur confort routinier pour trouver ailleurs plus d'authenticité.
Il a fallu qu'une patiente l'attaque en justice et que son ex-mari refasse sa vie en Floride pour que Josie décide d'abandonner son cabinet dentaire et de partir avec ses enfants sillonner les routes d'Alaska en camping car. Là-bas y vit une sœur de cœur qui pourra peut-être la conseiller.
"Quoi qu'il en soit, elle en avait terminé. Avec la ville. Avec son cabinet, avec les couronnes en céramique, avec les bouches de l'impossible. Elle en avait terminé, elle s'en était allée. Elle avait mené une vie confortable, or le confort est la mort de l'âme, qui est par nature interrogatrice, insistante, insatisfaite".Car, dans la tête de Josie rien ne va plus. Son mariage était une grave erreur. Carl n'a été qu'un géniteur et un homme lâche vivant à ses crochets. Josie a tout géré, tentant de combler auprès de Paul et Ana un père inconsistant. Seulement, la mort en mission d'un de ses jeunes patients et la plainte d'une autre ont rompu les digues. Elle n'en peut plus, submergée par les soucis et la culpabilité, elle ne veut plus de cette vie qui la tourmente.
Fini le confort de la maison, désormais les enfants et elle vont apprendre à vivre dans un vieux camping-car. L'Alaska en été offre des paysages grandioses et sauvages, parfois meurtris par des incendies géants, mais qui permettent à Josie de faire le point. En effet, ce voyage improvisé est une fuite déguisée. Il est sans espoir de retour. Il va falloir préparer les enfants à ce nouveau mode de vie et surtout apprendre à faire le vide et oublier le confort passé.
"Voilà peut-être la cause de toutes les névroses modernes, pensa-t-elle, le fait que nous n'ayons pas d'identité fixe, pas de certitudes absolue. Que toutes nos vérités fondatrices soit sujettes au changement".
Dans ce périple rempli de grandes et petites mésaventures, de moments uniques de communion et de rencontres étonnantes, Josie va tenter de faire la paix avec elle-même. Elle va franchir la frontière entre une vie bien réglée et celle au jour le jour. Surtout elle réapprend à aimer ses enfants en étant à leur écoute. L'Alaska agit comme un baume sur son esprit chaotique.
"Elle était certaine que Paul la fixait. Il ne dit rien, mais dans le noir elle sentit qu'il lui disait qu'il la connaissait. Qu'il savait tout d'elle. Combien elle était faible. Imparfaite. Petite et humaine. Il lui fit comprendre qu'il l'aimait comme elle était. Qu'elle appartenait à ce monde, qu'elle n'était pas un être infaillible venu du ciel".
Les Héros de la frontière est un road movie existentiel souvent drôle, jamais larmoyant mais qui interroge le lecteur sur le sens de l'existence. Josie et ses enfants ne sont pas des héros au sens donné par la littérature, mais des héros ordinaires qui avancent malgré les obstacles et qui apprennent à apprécier les petits plaisirs du quotidien. L'état reculé de l'Alaska incarne à la fois la frontière réelle franchie par les protagonistes et celle métaphorique d'une rupture entre deux modes de vie radicalement antagonistes.
Que faire de ma vie ? se demande Josie tout au long du roman. Dave Eggers explore des pistes, décrit des paysages merveilleux et emmène ses héros vers une quête authentique.
Ed. Gallimard, collection Du Monde entier, novembre 2018, traduit de l'anglais (USA) par Juliette Bourdin, 400 pages, 24€
Titre original : Heroes of the frontier