lundi 19 novembre 2018

Des Raisons de se plaindre, Jeffrey Eugenides

Pas de milliardaires, ni de stars, ni même de patrons arrogants, mais des petites gens avec leurs lots de rêves, d'angoisses, de dettes, d'amours et une indescriptible foi en la vie.


Les personnages de ce recueil de nouvelles nous ressemblent. Ils sont le kaléidoscope de nos émotions et de ce que nous pouvons affronter dans notre vie. Ceci est d'autant plus mis en avant qu'ils sont américains et évoluent dans un état bien moins protecteur que le nôtre lorsqu'ils sont confrontés au deuil, à la maladie, ou à la crise des subprimes.

Et malgré tout cela chacun garde en lui la foi en des valeurs qui, par les temps qui courent, peuvent être perçues complètement décalées. Comme ce musicien amoureux de musique ancienne qui se retrouve confronté à la spirale du surendettement après avoir acheté hors de prix un instrument ancêtre de l'orgue.
A qui la faute pourrait-on se demander, comme le titre d'une nouvelle éponyme ? L'honnêteté, les valeurs, l'amitié sont autant de refuges quand le reste part en vrille. Souvent Eugenides dépeint des couples en morceaux  ou des personnages en reconstruction après une séparation, recherchant dans la routine quotidienne de quoi leur donner le goût de vivre.
"Il reste là, invisible sur le seuil de la porte, et les observe. A mesure que le temps s'écoule, une sensation de plus en plus étrange s'installe en lui. Il a tout à coup l'impression d'être tombé de la réalité de la cuisine pour atterrir sur un autre plan de l'existence : c'est comme s'il regardait la vie de l'extérieur. N'est-il pas un peu mort au fond ? Est-on encore vivant quand on arrive à un tel mépris de la vie ?"
Le principe fondamental est de rester tel qu'on est. La nouvelle inaugurale "Les Râleuses" est fondatrice des nouvelles suivantes. Une amitié féminine, solide et ancienne, que rien ne peut rompre même la sénilité de l'une des protagonistes. Rester libre malgré les aléas de la vie ou la maladie. Ainsi, on peut être fauché, profiter des paysages de la Floride, se poser et se croire, le temps d'un instant le pus heureux des hommes.
"La première fois, ce motel exerce une attraction sur moi. La libération inattendue offerte par le toit, le pourrissement iodé du bord de mer, l'agréable absurdité de l'Amérique".

On sourit souvent à la lecture des histoires. En arrière plan, l'auteur sous décrit une société américaine  où le tout est possible frise parfois avec le ridicule. Dans "Mauvaise poire", si Tomasina ne s'était pas décidée à avoir un enfant pour accompagner ses vieux jours, elle n'aurait certainement pas organisé une fête pour demander à ses amis masculins de devenir ds généreux donateurs.
Publiées sur une période de vingt années, les nouvelles battent le pouls de l'Amérique, et l'ironie de Eugenides permet de mettre en perspective les petits et grands maux de chacun.

Ed. de L'Olivier, septembre 2018, traduit de l'anglais (USA) par Olivier Deparis, 304 pages, 22.50 €
Titre original : Fresh Complaint